
Marie Laure Dagoit, Et les lèvres et la bouche
Nuit d’échine
Marie Laure Dagoit, que nous pouvons nommer docteur en érotisme, crée ici la verve poétique du désir sur les lèvres et la bouche. Mais aussi, la langue est évidemment de mise là où la nuit palpite mais presque muette. Contemplative, l’auteure compte « les étoiles blanc noir bronze cuivre et c’est toute la plage qui resplendit d’une lumière claire et immobile ma peau sous la rosée un doigt sur les lèvres et la bouche ». Celle-ci ajoute « chut » mais, par frisson et sursaut, le plaisir arrive avec «un peu de rosée aux commissures des lèvres » et parfois « le rouge vif sur mon cul ».
Mais avant glisser dans des gouffres délicieux, au cours d’une balade, les amants achètent des cartes postales, traînent sur la plage « pour admirer les bateaux les grottes les châteaux ». D’abord, les cheveux s’emmêlent dans le vent et, parfois, les amants, les pieds dans l’eau, peuvent tomber puis dormir tant l’air est tiède là où « la bouche d’un ami fait très bien ». Mais, forcément arrive, les leçons de choses.
L’origine du monde de la brune dicte la brûlure de « l’ami. » Nous pouvons imaginer sa partenaire rire comme une rivière qui refuse de suivre son lit. Mais l’offrande est consentie tandis qu’existe la prière d’une peau offerte au doux supplice. Les deux êtres goûtent la morsure du ciel selon une chorégraphie des plus intimistes : « les lèvres et la bouche et les lèvres et la bouche ne déçoit pas parfois et les lèvres et la bouche ne déçoit pas et les lèvres et la bouche d’un ami ferait très bien l’affaire et les lèvres et la bouche et les lèvres et la bouche et les lèvres et la bouche ne déçoit pas et les lèvres et la bouche avec son ourlet crayonné son parfum léger le rouge et la bouche avec son odeur de miel et les lèvres et la bouche avec son ourlet crayonné ». Et résumons : les portes closes s’ouvrent sur des draps froissés où palpite l’éclair d’un monde clandestin.
Et dans le point d’ancrage des lèvres et de la bouche s’articule la volupté de l’indicible. Toutefois, si l’amour est une dérive, l’écriture est plus que sa marge. Elle ne s’aligne pas mais vacille, se plie et se tend, prête à rompre. Si bien que la nuit ronge ce qu’elle ne peut contenir. Mais elle appartient aux « jours de fête ». L’ordre phallique garde son haut. Et Ecce cunni pour l’ami qui touche le fond de la cyprine. Le plaisir peut attendre en un culte de « science-friction ». même si la Vulva Vulgaris n’a pas eu besoin de faire reluire le ver luisant.
jean-paul gavard-perret
Marie Laure Dagoit, Et les lèvres et la bouche (deux livrets), Editions Derrière la Salle de Bains, 2025 – 65,00 €
Photo de Gérard Utéras