Le regard croisé tel qu’il émane dans ces superbes textes poétiques fait penser à la séquence d’ouverture du film Stardust Memories de Woody Allen par lequel il enclenchait son cycle bergmanien.
Le héros assis dans un train voyait dans une rame adjacente le regard aimé qu’il ne pouvait rejoindre.
Dès lors, il ne faut pas se laisser prendre au titre du livre. Sous son aspect comptine se cache un récit poignant.
Angèle Casanova évoque le deuil de sa mère dont les étapes évoluent avec le temps.
Entre réalité et imagination, comme cela se produit lors de disparitions majeures, l’auteure croit encore entrevoir, voir ou croire.
Et le livre met des mots sur les douleurs muettes.
Nul ne sait plus si c’est une petite fille qui dit adieu à sa mère ou l’inverse. Mais l’auteure a parfois besoin de l’évocation par la prose descriptive pour rameuter ce qui arriva et qu’elle ressasse à même les émotions intactes dans le R.E.R. chaque soir.
Peu à peu, avant un retour final, le récitatif qui vide un peu ce qui doit l’être fait place à une vision où le traumatisme prend une autre consistante.
Ne reste que la rudesse de cette mort par accident qui mène les survivants là où l’épave a été reléguée.
Tout tient dans un équilibre qui tente de se faire. Il est ponctué par le rythme adjacent des peintures de Cauda. Celui qui souvent fait bouillir le sang glauque des images crée soudain un tissu de métaphores visuelles pour transformer les émotions de l’auteure en des éléments qui leur donnent une structure différente en évitant tout effet de doublage.
Si bien que s’ajoute une présence à la présence pour — à travers par exemple de deux bolets rouges qui fourmillent d’une clameur visuelle à la souffrance — ramener à l’absente.
Et si la voix pénètre à vif la douleur, les stries et graffitis hantés ajoutent une ponctuation incisive à ce qui palpite dans le texte et ses rappels.
lire notre entretien avec l’auteure
jean-paul gavard-perret
Angèle Casanova & Jacques Cauda, Maman, Maman, j’ai rêvé de l’ours, Les éditions du Carnet d’Or, Pantin, juillet 2021, 70 p. –14,00€.