On le sait bien : depuis que le monde est monde, l’émotion est ravageuse. Les idéologies l’actionnent. La mort et le sang qui fondent et limitent l’existence en restent les plus sûrs agents. C’est pourquoi Zoé Balthus a pris du temps avant de parler de la meurtrissure qu’a laissé en elle le 11 septembre 2001. A Manhattan, écrit l’auteure, « j’ai tant aimé vivre, rêver, partager, travailler, j’ai tant aimé aimer. Il était nécessaire pour moi que ce texte s’inscrive un jour sur le papier. Comme un sang ».
Elle le pose face à celui qui fut répandu par les fondamentalismes. Les assassinés ne peuvent être que pleurés. Mais Zoé Balthus ne les a en rien « récupérés ». Sa réaction émotionnelle n’est pas épidermiquement spontanée. Les sentiments sont devenus personnels, intimes loin des discours, des perspectives et des partis pris moraux et politiques.
Au drame et la submersion des émotions premières fait place son approfondissement. L’évènement échappe dans ce texte à tout schème conceptuel situé au confluent de valeurs, d’intérêts, de mythes, bref à une tradition. A l’identité de surface émotive fait place une proximité profonde. Surgit le dédoublement de l’être entre une intériorité de réflexion qui s’éloigne d’une extériorité propre aux réactions à chaud.
A l’insistance « profératrice » des discours politico-médiatiques font place le recueillement de l’être et son incantation. Preuve que le silence et l’attente sont parfois utiles et doivent prendre le relais des mots qui font parler à un évènement un langage qui ne lui appartient pas. Il ne s’agit pas pour Zoé Balthus de s’égaler au charnier pour rendre compte du monstre mais d’accéder à une autre logique : celle de la région nue de l’expérience intérieure.
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jean-paul gavard-perret
Zoé Balthus, NYC, U and me, éditions Derrière la salle de bains, Rouen, 2015.