Entretien avec l’auteur de NYC, U & Me :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le désir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je les ai réalisés, prolongés, amplifiés, magnifiés avec les rêves de la femme que je suis devenue grâce à tous mes rêves d’enfant mués en réalité. Ils sont plus savoureux à vivre, ils me surprennent d’autant plus qu’ils dévoilent des pans d’existence extraordinaires que je n’aurais pu imaginer, que je n’aurais jamais envisagés vivre un jour, que je n’aurais su rêver même.
A quoi avez-vous renoncé ?
Le renoncement n’a pas de place dans mon existence, je trouve cette notion méprisable dès qu’il s’agit d’accomplissement. La détermination est un mot-clé, avec la passion.
D’où venez-vous ?
De loin, depuis longtemps.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
L’amour pour épouser la liberté. Quel couple !
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Pourquoi « Un » ? Pourquoi « Petit » ? Autant que possible. Le plaisir ne doit jamais se bouder, ce serait un sacrilège.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Le fait évident que je sois ce que je suis, puis serai et que les autres artistes eux-mêmes soient ce qu’ils sont, seront, furent.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le visage de la Bête incarnée par Jean Marais, dans La Belle et La Bête de Jean Cocteau, c’est aussi mon plus ancien souvenir. J’avais trois ans, le visage de la Bête me terrorisait et me fascinait à la fois, je regardais le film cachée derrière le fauteuil de velours rouge du salon. Je jouais à cache-cache avec la Bête, en vérité. Je voulais la voir, mais je redoutais l’impression de répulsion qu’elle produisait. Elle me fait toujours le même effet des décennies plus tard. C’est en fait mon premier choc artistique. Ce film est fabuleux. Je tiens Cocteau pour un géant.
Et votre première lecture ?
Je ne peux pas parler d’une première lecture. J’étais très éveillée, captivée par les livres dans lesquels j’ai passé ma vie dès que j’ai su lire. Il y a eu très tôt toute la bibliothèque rose (Oui-Oui, Fantomette…) et verte (Alice) dès la fin de l’école maternelle, puis en primaire Alphonse Daudet, Jean Giono, Marcel Aymé, Marcel Pagnol, Jacques Prévert, Robert Desnos (Une fourmi de Dix-huit mètres avec un chapeau sur la tête, ça n’existe pas, ça n’existe pas…) Puis au collège, en 6e, le plaisir de jouer le théâtre de Molière (Le Malade imaginaire), ou de Corneille (Le Cid), le choc de la poésie de Victor Hugo (La Légende des siècleset en particulier Booz endormi), la curiosité de la philosophie de Voltaire (Micromégas). Au lycée l’évidence de la vocation littéraire, poétique et linguistique, s’affirme avec le coup foudre Baudelaire.
Pourquoi votre attirance vers ” l’ Eros” ?
L’Eros est la part du destin humain qui constitue le plus gratifiant rempart à l’autre part tout aussi mystérieuse, fascinante mais menaçante que représente Thanatos, toutes deux aussi complexes dans leurs composantes de lumière et de ténèbres, de jeu et de lutte.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Toutes celles qui trouvent une résonance émotionnelle (larmes, rêve), épidermique (frisson, désir) physique (danse, mouvement) celles qui jouent en harmonie avec mes cordes sensibles.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
La prose de ma souveraine russe Marina Tsvétaeva, Indices Terrestres.
Quel film vous fait pleurer ? Minotaur-Ex, un film expérimental de Bruno Aveillan, sur une chorégraphie de Philippe Combes avec sa compagnie Cave Canem, sur la musique de Raphaël Ibanez de Garayo. C’est un pur chef-d’œuvre qui tire les larmes à même le cœur. J’ai écrit un texte que l’on retrouve ici. Il a été publié dans le dernier ouvrage de Bruno Aveillan, Flashback (Ed. NOIR) paru cette année à l’occasion de sa rétrospective au Couvent des Minimes à Perpignan.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
La femme que l’enfant que je suis à jamais est devenue et ne cesse de devenir.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Pas « osé », mais « su » écrire, ce qui est davantage vrai en ce qui me concerne. Quand je sais, les barrages cèdent, j’ose. Cependant, ces noms-là appartiennent à mon vaste jardin secret.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le merveilleux site d’Angkor Wat au Cambodge rencontré d’abord grâce à André Malraux avec son roman La Voie Royale, puis à Pierre Loti avec Le Pèlerin d’Angkor, et que j’ai sillonné à plusieurs reprises au cours de mes années passées au Vietnam.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Les vivants ? Les amis ? Les disparus ? Ils sont en partie sur mon blog. Je regrette qu’ils n’y soient pas encore tous.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
La vie m’a gâtée pourrie. Je reçois chaque jour son présent.
Que défendez-vous ?
L’amour, l’art, la beauté, la liberté, la fraternité. L’humanisme en somme, selon la magistrale définition qu’en donne Malraux dans La Voix du silence : « L’humanisme, ce n’est pas dire : “Ce que j’ai fait, aucun animal ne l’aurait fait”, c’est dire : “Nous avons refusé ce que voulait en nous la bête”, et nous voulons retrouver l’homme partout où nous avons trouvé ce qui l’écrase. Sans doute, pour un croyant, ce long dialogue des métamorphoses et des résurrections s’unit-il en une voix divine, car l’homme ne devient homme que dans la poursuite de sa part la plus haute ; mais il est beau que l’animal qui sait qu’il doit mourir arrache à l’ironie des nébuleuses le chant des constellations, et qu’il le lance au hasard des siècles, auxquels il imposera des paroles inconnues. Dans le soir où dessine encore Rembrandt, toutes les ombres illustres, et celles des dessinateurs des cavernes, suivent du regard la main hésitante qui prépare leur nouvelle survie ou leur nouveau sommeil… Et cette main, dont les millénaires accompagnent le tremblement dans le crépuscule, tremble d’une des formes secrètes, et les plus hautes, de la force et de l’honneur d’être homme. »
Rien ne dit mieux ce que j’espère ne jamais trahir.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est la définition la plus juste, la plus subtile, la plus espiègle qui a été donnée de l’amour à mon sens. J’aurais adoré suivre les séminaires de Lacan. Je m’y serais régalée.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Ce n’est pas ce qu’il a dit de meilleur. Je préfère : « L’avantage d’être intelligent, c’est qu’on peut toujours faire l’imbécile, alors que l’inverse est totalement impossible.»
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Je ne peux pas faire le boulot à votre place. Sourire.
Entretien réalisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 20 décembre 2015.
Jolies réponses… Humour et poésie tout au long de ce bel entretien.