Philip Gray, La Maison aux neuf serrures
Tant de protections est inquiétant
Le romancier fait preuve d’un solide talent à entrelacer le passé et le présent dans une histoire bien sombre. Après les tranchées à la fin de la Seconde Guerre mondiale – Comme si nous étions des fantômes– (Sonatine 2023), il retient la Belgique des années 1950. C’est également pour explorer des cicatrices laissées par le conflit tout en introduisant des secrets de famille.
À Bruxelles, en 1952, un incendie dans un entrepôt entraîne la mort du veilleur de nuit. Or, le commandant De Smet découvre que la victime a été enfermée dans le local.
En avril 1951, à Gand, Adélaïs De Wolf reçoit pour son onzième anniversaire un magnifique cadeau de son oncle. Atteinte par la polio, elle a une jambe défaillante. C’est un tricycle mu avec les mains. Elle va ainsi pouvoir se déplacer plus facilement. C’est lors d’une balade qu’elle sauve un garçon de la noyade. Ce fils de bourgeois va vouloir retrouver l’ange qui l’a sauvé. Ils vont nouer une solide amitié.
Les années passent. La situation économique se dégrade. L’attitude des parents d’Adélaïs devient de plus en plus anormale. Son père a de moins en moins de travail et sa mère perd le sien. Ses parents et son oncle se disputent pour des raisons qu’elle n’arrive pas à cerner. En âge de travailler, Adélaïs est employée dans un café. C’est par une lettre, qu’elle découvre par hasard, qu’elle apprend le décès de son oncle aux Pays-Bas. Quelques temps après, elle est contactée par un notaire. Le défunt lui lègue le bail d’une maison avec tout ce qu’elle contient. Ce bail est encore valable vingt-et-un ans. Le notaire lui remet un trousseau de clés, quatre pour des loquets et cinq pour des verrous, et l’emmène sur les lieux.
Quand elle ouvre, elle découvre assez vite les raisons d’une telle protection et s’engage sur un terrain bien dangereux.
Pour une peccadille, le commandant de Smet, arrivé à Gand, s’intéresse au père d’Adélaïs et c’est un homme qui ne lâche rien, jamais…
Avec ce récit, où il fait des secrets de famille le cœur de son intrigue, l’auteur dissèque les effets de la culpabilité et la recherche de la rédemption après des actes du passé, des choix qui ont été retenus, la possibilité de se racheter, ou non. Il pose le principe de la responsabilité individuelle, de son respect ou de son rejet, faisant porter alors le poids sur des fautifs, des individus ou des circonstances.
Il installe une belle galerie de personnages dont émergent trois acteurs principaux. D’abord, Adélaïs qui porte tout le récit. C’est une héroïne étincelante déterminée à soulever le voile sur les secrets familiaux. Elle va, malgré son handicap, les dangers qui vont la menacer, mettre à nu tout ce que recèle cette maison et ce que cachent ces neuf serrures. La maison est également un personnage qui occupe une belle place. Salvador De Smet qui, initialement, enquête sur la mort suspecte d’un veilleur de nuit, va croiser la route de l’héroïne quelques années plus tard. C’est un homme qui incarne une rigueur morale et qui a soif de vérité. L’oncle d’Adélaïs est très proche de sa nièce qu’il va vouloir protéger en l’aidant, lui faisant des cadeaux, lui donnant de l’argent. Mais c’est un individu mystérieux qui mène des affaires troubles. Son legs, qu’il sait être source de problèmes, est le début de révélations inquiétantes. S’il semble vouloir protéger sa Loupiote, comme il l’appelle, il lui offre un cadeau difficile.
Avec une écriture efficace mais élégante, un rythme soutenu pour les péripéties, Philip Gray propose un roman tout en tension où il explore, avec brio, les compromissions, les silences fautifs, les fantômes d’un passé bien chargé.
serge perraud
Philip Gray, La Maison aux neuf serrures (The House with Nine Locks), traduit de l’anglais par Élodie Leplat, Éditions Sonatine, septembre 2025, 482 p. – 23,90 €.