Tour de force

Avec ce volume, Kerwin Spire termine sa trilogie sur Romain Gary. Ce dernier tome est de loin le plus passionnant puisque l’as « expéri-menteur » du secret est ici à son paroxysme : le prix Goncourt est décerné à La vie devant soi d’un certain Émile Ajar. Caché sous ce pseudonyme, Romain Gary remporte la plus prestigieuse des distinctions littéraires françaises, pour la seconde fois et un immense succès de librairie.
Certes, Romain Gary a déjà vécu un nombre incalculables d’aventures et de succès en tant qu’aviateur militaire, diplomate, cinéaste, journaliste, mais il étouffe pourtant dans son propre personnage. Kerwin Spîre développe la thèse suivante pour le tirer de sa propre psyché selon deux hypothèses d’ailleurs de près (ou de loin) consœurs : soit devenir autre pour être vraiment soi-même, soit continuer d’avoir la vie devant soi.

Il est vrai que le cas échéant ou non, Romain Gary monta un coup littéraire, médiatique et mondain extraordinaire épaulé par de proches complices avec, cerise sur le gâteau, l’amour que lui porte une lectrice passionnée. Dans ce livre, avec des archives parfois inédites et croustillantes, Kerwin Spire met la dernière touche à son héraut. L’essayiste donne en effet toute la geste qu’il faut accorder à un tel homme.

De plus, Spire met toujours de l’humour dans la finalisation de la légende de Gary. Et de cette trilogie, ce volume est de loin le plus passionnant et réussi des trois tant le merveilleux subterfuge devint la réussite absolue : qu’importe le fantôme de Ajar et de son faux nègre blanc (Paul Pavlowitch), car jamais le roi ne fut nu : il devint empereur à l’aigle à deux têtes dont l’angoisse reste inhérente à lui-même. Cette trilogie se clôt sans achever Gary (double compris).

jean-paul gavard-perret

Kerwin Spire, Monsieur Romain Gary : Alias Émile Ajar – Aux bons soins du Mercure de France : 26, rue de Condé, Paris Vie , Paris, Gallimard, 2025, 240 p. – 20,50 €.