Hannah Sullivan, Etait-ce pour cela
Poésie présence
En 2018, , Hannah Sullivan se trouvait à bord d’un bus qui la conduisait de Londres à Oxford. Le trajet l’a fait passer devant la carcasse calcinée de la tour Grenfell, un immeuble de logements sociaux du quartier londonien de Kensington qui a été dévasté par un incendie en juin 2017, causant la mort de 72 personnes. Elle se souvient du soleil matinal, dont les rayons transperçaient le squelette de béton “dans un subit flamboiement” (c’était avant que ses murs ne soient pudiquement pansés par des bâches blanches).
Alors que la lumière embrasait les cadres vides des fenêtres, elle a ressenti “l’horreur de cette carcasse physique, et de ce qui se trouvait toujours à l’intérieur”. Elle a griffonné quelques lignes que l’on retrouve aujourd’hui dans Était-ce pour cela, jusque là inédit en français.
Ce génial recueil de poésie porte sur le sens de l’existence et la place de l’homme. A travers une exploration des différents lieux qui ont marqué sa vie, l’écrivaine explore son passé et interroge son présent. Parfois, le vent dévore les coupoles et les dômes de Londres, les rues se courbent sous l’assaut du néant, la Tamise, monstre reptilien, lèche les quais et des âmes liquides se dissolvent dans ses reflets grisâtres.
Hannah Sullivan surgit des averses, parfois ses paumes jointes en prière de lumière, face à l’éclat fragile d’un regard fauve de la pluie qui noies les âmes, les visages, les noms. Retenant dans ce livre des sortes d’exil où les êtres marchent, les yeux grands ouverts pour contempler l’éclat de petites victoires et de défaites parfois plus large. Mais une telle poésie d’existence est exceptionnelle.
jean-paul gavard-perret
Hannah Sullivan, Etait-ce pour cela, bilingue, trad. Patrick Hersant, La Table Ronde, Paris, 2025, 248 p. -21,50 €.