Matisse ou l’extase nue

Selon Bernard Noël, « Matisse s’en tiendra là, toujours, s’en tiendra au beau, au calme, au voluptueux, au parfait, quitte à s’entendre dire : « Matisse, ce n’est que ça !». Et ce, pour une raison du poète :
ses tableaux entraînent le regard dans un plaisir qui ne suscite pas d’interrogation. Bref, tout y paraît facile.

Voire ! Car cette apparence cache une longue méditation pour parvenir à un tel  travail. Bernard Noël poursuit, avec Matisse, son exploration de ce qui fomente perception, langage et présence. Dès lors, même si Gustave Moreau estima que Matisse simplifiait la peinture, Noël prouve que, chez celui-ci, il affleura la clarté d’une vision intérieure. En effet, la forme et la couleur du peintre ne « décrit »’ rien : elles rayonnent, délestées de toute anecdote et se tendent  vers un équilibre lumineux.
Une telle propension à l’allègement porte la peinture à son summum. Elle élève la sensation en mouvement, la couleur en action. Tout bascule ou s’épanouit vers l’invisible par la lumière en tant que  seuil.

Matisse a su se libérer de sa tête. Hors du mental et du monde réel surgit une extase nue en, écrit Noël,  « un lieu dont le luxe est en nous, et non dans quelque paradis ou quelque lendemain ». L’’incroyable densité des peintures de Matisse retient à un tel seuil mais loin d’un décorum, d’un lexique formel ou d’un esthétisme d’époque. Ses toiles essaient de comprendre ce qui s’agit de peinture.

Personne moins que lui n’a trouvé la possibilité d’un contact direct avec elle. Personne n’a été plus
attentif que lui.  D’aucuns pouvaient le taxer d’une certaine naïveté. Mais il n’y eut chez un tel peintre aucun « culte wagnérien » (Ah l’ironie de Baudelaire…). Face à un fort sentiment d’impuissance, Matisse risqua de plonger contre la puissance d’aliénation de la représentation. Dès lors, sa peinture fut « dite ». Bernard Noël l’a fait.

jean-paul gavard-perret

Bernard Noël, Matisse, Autoportraits d’Henri Matisse, Fata Morgana Fontfroide le haut, 2025, 64 p. – 16,00 €.