Christian Limousin, Mangeant une étoile du ciel

Christian Limousin, Mangeant une étoile du ciel

Mangeant une étoile du ciel ! Le titre du livre de Christian Limousin emprunté à une phrase de Georges Bataille annonce la couleur : avale et tu verras ! Je rappelle que le crime, le premier, qui a donné son verbe à la peinture, c’est celui du Christ en croix… S’ensuivit l’eucharistie… Avale et tu verras donc… Tu verras le voile qui masque le visible pour te le redonner à voir. « Noé, le cultivateur commença de planter la vigne. Ayant bu du vin, il fut enivré et se dénuda à l’intérieur de sa tente. Cham, père de Canaan vit la nudité de son père et avertit ses deux frères au-dehors. Mais Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent tous deux sur leur épaule, et marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père ; leurs visages étaient tournés en arrière et ils ne virent pas la nudité de leur père. » Genèse IX, 20-23

Sans ce voile-manteau rien de visible n’est permis. Dans l’eucharistie, ce sont les espèces, le pain et le vin, qui jouent le rôle du voile.
Pour Limousin, voir c’est aussi écrire, ut pictura poesis, écrire en supposant une question qui brûle les lèvres quand on mange un morceau, fut-ce une étoile : qu’est-ce que ça devient ? Joyce y avait répondu d’un jeu de mot : litter/letter.  Autrement dit l’ordure/la lettre – que Bataille a métamorphosé en anus solaire. Limousin a préféré le mot valise matièrepeinture qui ouvre son recueil : « Le bloc de matièrepeinture pantèle », écrit-il dès les premiers mots. Matière c’est-à-dire/écrire fécale ? Il est légitime de rapprocher le logos, le discours, du scatos puisque le mot « excrément » désigne uniformément (si l’on peut dire) dans la langue du XVIIe siècle, tout « ce qui sort du corps des animaux, lorsqu’ils ont fait leur digestion ». Soit d’une part, l’urine et la matière fécale désignées toutes deux ou seulement la dernière, selon qu’on se réfère à Furetière ou au Dictionnaire de l’Académie, par les mots de « gros excréments » ; et d’autre part, les autres résidus corporels, autrement dit (si l’on suit toujours Furetière) « le fiel, l’humeur mélancolique qui est attirée par la rate » et tout ce qui est « poussé dehors par transpiration insensible, ou par des conduits qui y sont particulièrement destinés, comme celui du cerveau qui se décharge par le nez, par la bouche, etc. » ; et même – paradoxalement car cela semble en faire un produit de la digestion comme le devient la peinture par la lettre avalée.

Ainsi Limousin égrène-t-il un abécédaire qui court de la lettre A (anatomie) à la lettre Z (Zurbaran), avec entre autres noms, (f)acteurs de la re-présentation : Appelt, Bacon, Bellmer, Cézanne, Dado, Delacroix, Ensor, Fautrier, Garouste, Hantaï, Klossowski, Lam, Manet, Nauman, Picasso, Pollock, Reberolle, Rustin, Schiele, Titien, Van Gogh, Witkin, Zurbaran.  Constellation haute dont ce scintillement idéalement métonymique p.121 : 

les yeux levés les bras tendus le corps aspiré

abandonne son trop vaste & lourd habit

les mains supplient montent soulèvent le voile

soutiennent le ciel mobile nébuleux menaçant

les mains montent supplient tirent à elles les couleurs

tout l’excès de l’éther s’écoule ruisselle

en plis & replis laiteux plombés emplit l’espace

franges ourlets niches qu’occupe le choeur

des élus corps nus contorsionnés

les yeux levés les bras tendus le corps aspiré

palpite danse s’étire comme une flamme vive

se consume comme une torche bleu acétylène

ascension expansion joyeuse ivresse d’apocalypse

jouissance infinie dans l’espace plissé remous de flux

tangage où flambe la couleur fragmentée

où le corps boit le ciel où le ciel boit le corps

El Gréco, L’Ouverture du cinquième sceau de l’Apocalypse, huile sur toile, 1608-1614,

Metropolitan Museum of Art, New York

Livre de toutes les merveilles !

« Christian Limousin est avec moi (Cauda) aux pieds de la tombe de Georges Bataille. Vézelay. Je lui fais remarquer que Bataille est mort un 9 juillet, jour anniversaire de ma naissance.  Anecdote. Sur la dalle de ciment nu est dessiné un œil ouvert, vide, sans pupille. Le ciment est entaillé, mordu, usé jusqu’à rendre invisible le nom de l’auteur des Mangeurs d’étoiles. Visible. Invisible. Pascal : « Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux. » Limousin : « La peinture n’est pas une imitation, d’autant qu’elle ne relève pas de la visibilité. Peindre c’est faire retour à une réalité invisible. » Et l’écrire !

C’est le projet fol que Christian entreprend : Manger le ciel de la peinture ! Et y monter (au bleu du ciel) avec tous les peintres qu’il aime ! Avant de mourir, il me fait promettre de rendre visible cet amour qu’il porte à l’invisible jusqu’à se confondre en lui et se perdre dans la profondeur éblouissante des cieux. Et des lettres. Promesse tenue ! 

Christian Limousin, Mangeant une étoile du ciel, La Bleu-Turquin/Douro, 2025 – 20,00 €.

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