
Anne Barbusse, Terra (in)cognita : poèmes sous couvre-feu
Anne Barbusse traverse son monde et donc arpente la France en voyage : « Dans la vallée du Rhône fument les centrales nucléaires et tournent les éoliennes. » Comme elle, nous partageons ses parcours d’existence entre géographie et temps.
« L’avènement des herbes criblera les marais de touffes outrecuidantes » même si demeurent encore le ravage et le traumatisme du Covid jusqu’à la mer qui ravale ses vagues et roule l’écume sur les galets ronds. Des prairies s’allongent là où elle portait des masques FFP2 dans l’urgence de presque vieux hivers.
La poète s’accroche au soleil comme au bout des pales tournantes. A Lyon, les quais chuchotent la langue de la société post-industrielle qui menace de s’effondrer dans l’excès. Le long des routes, elle s’accroche à des arbres chétifs mais lutte contre l’intempérance et s’échappe aussi sur les rails parallèle. Le train s’enfonce dans les villes de province dont Valence, mais cela remonte à ses vingt ans, à sa vie parisienne et les banlieues quadrillées de lotissements neufs ou en construction.
L’auteure multiplie ses « choses vues » chères à Hugo. Pour les évoquer, ses métaphores se déplument à bon escient. Le virus a encore l’aplomb des parasites sans question. Mais dans ce monde-là, il faut s’échapper par le haut, « pour ne pas chuter tout en bas du monde. »
Telle est cette biographie méditative somme toute commune mais prégnante à tous. Certes, des « maisons incolores parachèvent l’inconsistance » des absences des saisons mais quelque chose avance. Quitte à saluer l’irrévérence de Godard : « il n’est pas encore mort et la gare de Lyon a presque,la même salle des pas perdus, seules les nouvelles du monde ont changé ». C’est donc bien tout ce qui reste. Si bien qu’un tel texte se transforme en oraison, célébration et rituel. Volontairement neutre, un tel langage nous sonne, comme s’il suggérait d’être abasourdi par ce qui fut. Mais Anne Barbusse file droit.
Histoire, face à l’horizontalité de la peine, de maintenir l’espoir (presque sourd) de changer le monde. C’est là en quelque sorte échapper aux dupes du non dupe et se plonger encore vers le rêve et le ciel mais aussi méditer encore. « Aux graminées encore de dessiner des jardins de curé, ne plus octroyer les mondes », écrit-elle grâce à son infidélité chronique aux statistiques.
Même si, dit l’auteure, « je ne cueille que les chiffres de la pandémie ». Elle fait beaucoup plus. Et pour lutter encore. Mieux, partant pour le large loin des hommes transitoires et des mouettes furieuses. Cela convient à sa forme d’intransigeance.
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jean-paul gavard-perret
Anne Barbusse, Terra (in)cognita : poèmes sous couvre-feu, éditions Unicité, 2024, 170 p, – 15,00 €.