Qui donc au fond de soi peut se reconnaître ? Orties blanches, plâtras, pans de briques au terminus de la mémoire, cœur hérisson qui se noie dans les flaques, saga et élégie, fougère et jasmin, ombre et soleil sur le jardin : Marie-Laure Dagoit le peut.
Et ce, dans une vision sulpicienne — du moins en partie — de la vie.
Ici, elle se souvient. De son désordre, du dedans de son tumulte. Le masochisme devient le supremus de l’amour : “J’aime plus fort que tout tomber plus bas que terre. / Je pousse avec mes deux épaules. / Mon chasseur me marche dessus comme une bête. / Il ouvre mes jambes — il les referme. / Il tape avec un bâton. / Il m’écrase à gauche - à droite — à gauche, puis à droite / pendant que je glisse sans le moindre mot”.
Et cela peut arriver à n’importe quel âge car le coeur a ses raisons. Et il n’est pas le seul.
Si bien que l’entendement devient, plus qu’une figure de style, une stratégie paradoxalement libidinale d’auto-préservation. Car si toute écrivaine digne de ce nom mate le diable, devient chanoinesse des fous, Sainte Marie (Madeleine) et Lucifer à la poursuite de son “qui je suis” ou de qui l’assiège, pas question pour autant de tomber dans un bain de déréliction. Bête parmi les bêtes, elle voit “voler les tourterelles, détaler les lapins (…) lèche une petite fouine que je martyrise sans pitié.“
Peu à peu, la passivité envers l’ogre possède ses limites. L’amante tue son chasseur à bon escient. Et c’est une belle leçon de sagesse : “Il croit que je vais me résigner à mourir” mais il arrive que, placé en son propre sexe, le membre du quidam adoré finisse par rester inerte. La grande mort a pour lui raison de la petite. Et tout cela rend rieuse la sorcière.
C’est une façon de se regarder faire en sachant au besoin cesser d’être galérienne. Le temps vient où il s’agit de penser à soi et de ne plus songer à l’autre. Son souvenir fera l’affaire dans ce qui ressemblera plus à un chant d’abandon que de solitude.
C’est une (bonne) façon d’exister.
Entre chien et loup. Pour que la nuit soit belle.
jean-paul gavard-perret
Marie-Laure Dagoit, Je n’ai aimé que toi, Les éditions de la Salle de bains, Rouen, 2020 — 5,00 €.