Pierre Bergounioux, En vitesse

Eloge de la lenteur

C’est une évi­dence : le monde moderne est celui de la vitesse voire de l’accélération inces­sante dont le numé­rique est une des expres­sion les plus avan­cées. Le quasi ins­tan­ta­néisme de ses don­nées fait que ” L’aventures de lignes” dont par­lait Michaux dès 1954 prend des dimen­sions expo­nen­tielles. Nul n’avait rêvé d’aller si vite.
Ber­gou­nioux ne pousse pas si loin son enquête mais il garde une conscience entière de vivre dans un monde d’énigmes auquel il convient de résis­ter. Ici, l’auteur voit l’homme, au volant de divers véhi­cules, se trans­for­mer en vic­time consen­tante de l’automatisation, du trans­port et de l’information informatique.

Se reven­di­quant comme sinon pié­ton du moins obser­va­teur et vigie du monde, l’ “ultime reje­ton de la société agraire archaïque” met à nu les nou­veaux rap­ports qui s’imposent à l’homme dans une époque où l’espace-temps comme la réa­lité vir­tuelle créent un choc des civi­li­sa­tions au moment celles-ci courent à leur perte.
Et l’auteur de pré­ci­ser : “Pour obte­nir un sur­croît de pré­ci­sion, il faut ralen­tir”. C’est pour lui le seul moyen — en voi­ture ou non — de détailler ce qui s’offre à nous. Par exemple, et sur la rocade d’un péri­phé­rique, “les deux portes arrière, avec la plaque d’immatriculation, le caré­nage de la roue de secours” du véhi­cule que nous sui­vons. Les nom­breux des­sins — au crayon et à bord d’une voi­ture — de Phi­lippe Hélé­non pré­cisent cette pul­sion d’un monde éphémère.

Existe là un superbe “car­re­four” de l’image et de la pen­sée afin que les mécréants que nous sommes deve­nus soient encore capables de sen­tir la pré­sence d’une mouche qui vien­drait nous rendre visite lorsque nous nous assou­pis­sons à la place du mort dans une voi­ture.  Qui peut encore per­ce­voir son bour­don­ne­ment qui égra­tigne la sur­face du silence ?
Ces riens qui étaient des tout nous échappent sans que nous en sor­tions gagnants.

jean-paul gavard-perret

Pierre Ber­gou­nioux, En vitesse, des­sins de Phi­lippe Hélé­non, Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 2018, 40 p.

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