Gérard Macé développe en ses « pensées simples » un genre particulier qu’il a défini dans le deuxième ouvrage de cette série (« La carte de l’empire) comme « proche de l’essai, de la divagation qui ne néglige rien du réel, sans croire qu’on peut l’imiter». Le terme « pensées simples » pourrait laisser croire à une présence de l’aphorisme : or il n’en est rien. Mais, et à l’inverse, on en est bien loin de la simple rodomontade philosophique.
Macé se fait conteur, promeneur sur des rives exotiques. Il les connaît par ses voyages et son érudition sans pour autant offrir à son lecteur des textes étouffe-chrétien. Tout est limpide, « va l’amble » comme aurait dit Montaigne dont l’auteur est un héritier conséquent. Comme lui, il traverse les âges dans une fantaisie. Et sa fatrasie n’est qu’apparente. Tout est modifié en récits, histoires, ramifications, échos et traversées où se mêlent aussi confidences et médiations. Preuve que l’auteur est comparable à cet « homme qu’on aimait dans son village parce qu’il raconte des histoires. »
L’imagination chez Macé n’est jamais moribonde. Elle remue le réel, éduque (au besoin) et ouvre au rêve. Elle contrarie l’espace qu’elle habite, se contorsionne, échappe, s’échappe. Elle se dissimule en partie. La forme choisie par l’auteur permet de ne pas révéler la totalité de son entité. Par cette acrobatie, l’écrivain suggère une part de sa propre disparition, une part de manque. Le morcellement permet en outre de faire des mises au point sur des zones souhaitées afin de mettre en valeur ce qui s’y passe.
Macé révèle dans un moment donné ce que son corps autant que l’intellect racontent. A la manière d’un archéologue, il accumule des traces de vie d’un présent tombé tout juste dans le passé, rassemble diverses sensations, ressentis, preuves du vivant. Le livre devient un terrain foisonnant et empirique. Cela permet d’évoquer l’être humain et le monde dans une temporalité et une géographie en extension en laissant souvent la part belle à l’anomalie, à la fragilité mais jamais à la maladresse.
jean-paul gavard-perret
Gérard Macé, Des livres mouillés par la mer — Pensées simples III, Gallimard, coll. Blanche, Paris, 2016.