Marine Leconte, On n’en taire pas les fantômes

L’enfer des autres

Marine Leconte écrit vrai et pro­fond. Dans son livre, les pères pas­sants, les “sang père sonne” et les impairs obs­curs sont de faux joueurs. Cer­tains n’enterrent pas les fan­tômes et d’autres morts pos­sèdent comme fierté qu’ils se rai­dissent aux cime­tières. Mais dans son écri­ture aux asso­nances sub­tiles l’auteure pro­pose un livre d’exception.
D’une cer­taine façon, recon­naître l’amour n’est plus déjà le connaître. L’auteure rap­pelle ainsi dans sa tor­sion habile des mots for­gés pour savoir ce qu’il en est vrai­ment. Les prouesses ver­bales rap­pellent que les femmes à “l’utérus vidé de ces sou­coupes” deviennent une manière de désen­chan­ter ce qui fut hanté.

Elles connaissent des amours empê­chées ou per­dues par ce qu’elles ont subi. Ces amours ont été bues, refu­sées, régur­gi­tées, sac­ca­gées. A pré­sent, Marine Leconte s’adresse à leurs ombres à tra­vers sa voix si ori­gi­nale. De tels faux fan­tômes s’absentent mais reviennent et ce n’est pas du même lieu du corps que ça vient. Sans la cen­sure impo­sée par les non-dits, s’étendent des tâches d’huile de vidange. La poé­tesse découpe un éro­tisme dont elle s’empare pour le rendre vivant, libre et sur­tout vibrant d’humour.

L’amour rime avec tra­gé­die, mais la femme décou­pée par les loups noirs purge les eaux usées de l’ennui et de cer­tains silences. Une car­to­gra­phie écrite et par­lée construit au jour le jour les écarts et les failles qui res­sur­gissent. Une lumière appelle et luit là où l’angoisse pre­nait toute sa place. Mais la créa­trice rap­pelle une voie qui ne pou­vait pas abou­tir puisque le lieu des désirs fémi­nins condui­sait à une impasse déchi­que­tée à coups de griffes mas­cu­lines.
L’auteure porte la vie contre les ombres qui se don­nèrent en modèles mais de l’emprise des­quelles aucune femme ne pou­vait se libé­rer. Décou­pée comme un sein, elle sou­lève pour voir et com­prendre ce qui se cache dans les des­sous. Cela per­met de  voir le contraire d’une femme lais­sée seule­ment comme un trou.

A la place, dans le lan­gage qui déplace le sens, cir­culent les men­songes enla­cés aux véri­tés dont il y en a plu­sieurs. Dès lors, une voix rede­ve­nue pre­mière offre un regard et une lec­ture seconds. La créa­trice n’y admet pas les flé­tris­sures — et bien plus. Elle  fait la peau des maîtres qui lais­sèrent aux femmes les prix de leur mépris.

lire notre entre­tien avec l’auteure

jean-paul gavard-perret

Marine Leconte, On n’en taire pas les fan­tômes, Edi­tions L’Ire de l’Ours, 2024, non paginé — 10,00 €.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Poésie

One Response to Marine Leconte, On n’en taire pas les fantômes

  1. Villeneuve

    Tel­le­ment bien dit !

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