Entretien avec Laurent Grison (Le chien de Zola), poète “des treize vents et des quatre directions”

Entre­tien avec l’auteur de Le chien de Zola (http://www.lelitteraire.com/?p=23531  :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le vif désir d’écrire dans le presque-silence de l’aube. Je me lève tou­jours très tôt, à cinq heures du matin, comme un res­sort. Dès l’initiale du jour majus­cule, l’horizon s’ouvre à la saveur suave des mots minuscules.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Ils sont deve­nus des mots qui tou­pillent au-dessus de la mai­son. La nuit, ils nichent dans le gre­nier aux souvenirs.

A quoi avez-vous renoncé ?
A l’illusion folle et vaine de deve­nir un autre que moi-même. Je est un je.

D’où venez-vous ?
Je suis un homme des treize vents et des quatre directions.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
La force d’affronter la vie sans jamais faillir.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Gra­vir la mon­tagne et cou­rir dans un champ de neige infini, en toute liberté.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Je désire que cha­cun de mes mots soit une petite lumière éclai­rant, dans l’obscurité, le sens de ce qui nous entoure.

Com­ment définiriez-vous votre approche de la poé­sie ?
La poé­sie conjure la mort par la puis­sance de l’acte créa­teur. Elle n’a de sens pro­fond que si elle porte une part d’universel. Le poète parle d’une voix sin­gu­lière, libre et juste. Il com­pose, avec sen­si­bi­lité, exi­gence et humi­lité, un monde dans lequel il invite le lec­teur à s’engager, voire à s’égarer.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Les nuages dans les­quels je voyais avec jubi­la­tion des ani­maux chimériques.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Enfant, je pre­nais plai­sir à lire tous les livres que je trou­vais à la mai­son ou à l’école. Ado­les­cent, j’admirais déjà Bau­de­laire, Rim­baud et Mal­larmé. A ce moment de ma vie, j’ai pris conscience que je consa­cre­rais une part essen­tielle de ma vie à l’écriture lit­té­raire et à une pen­sée sur l’art.

Quelles musiques écoutez-vous ?
J’ai une pro­fonde pas­sion pour la musique dite clas­sique. Elle occupe une place essen­tielle dans ma vie et dans mon tra­vail d’écriture. La poé­sie est musique. La musique est poé­sie. Ma culture musi­cale est très ouverte, des œuvres de Bach, qui m’accompagnent chaque jour, aux avant-gardes musi­cales des XXe et XXIe siècles. J’aime la musique contem­po­raine dont le pro­ces­sus de com­po­si­tion est sou­vent proche de mes expé­riences littéraires.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Alcools »
d’Apollinaire.

Quel film vous fait pleu­rer ?
« Les Ailes du désir »
de Wim Wenders.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Je répon­drais à cette ques­tion avec un poème que j’intitule « Gris (auto­por­trait) » :
« gris ardoise / gris argenté / gris de plomb / gris cen­dré / gris clair / gris foncé / gris argent / gris fer / gris moi­neau / gris perle / gris sau­te­relle / gris sou­ris / gris taupe / gris d’argent /gris d’argile / gris de lin / gris de pierre ».

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Personne.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Rome. Je trouve dans cette ville-monde une mys­té­rieuse éner­gie qui irrigue tout mon travail.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Mes contem­po­rains ! Je tra­vaille régu­liè­re­ment avec des musi­ciens, des peintres et des pho­to­graphes, des comé­diens, des auteurs aussi. J’aime pro­duire des livres d’artiste et conce­voir des spec­tacles croi­sant les formes de création.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une lettre com­pre­nant un poème inédit qu’Anna Akh­ma­tova, la grande poé­tesse russe, aurait envoyée à mes parents depuis Mos­cou, pour fêter ma nais­sance, et qui se serait per­due pen­dant plu­sieurs décen­nies avant de me parvenir.

Que défendez-vous ?
Je défends une pen­sée huma­niste et spi­ri­tuelle de la poé­sie, tel­le­ment néces­saire aujourd’hui.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ? »
J’apprécie le sub­til usage laca­nien de la langue. C’est pour­quoi je pro­po­se­rais de ren­ver­ser la phrase ainsi : l’Amour, c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas qu’on croit ne pas avoir ou qu’on a sans le savoir consciem­ment ou qu’on pense ne pas pouvoir/savoir don­ner à quelqu’un qui n’en veut pas qui refuse incons­ciem­ment son désir d’être aimé pour ce qu’il est.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »
C’est une sen­tence que je rap­pro­che­rais de la phi­lo­so­phie tao que j’ai décou­verte d’abord en étu­diant les œuvres de John Cage puis en allant à la source de cette pen­sée, notam­ment en visi­tant le temple du Nuage blanc, à Pékin.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Peut-être : « où allez-vous ? » pour para­phra­ser le titre d’un célèbre tableau de Paul Gau­guin : “D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?” (1897–1898, Museum of Fine Arts, Boston).

Entre­tien réa­lisé par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com , le25 juillet 2016.

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