Alice habite toujours ici

Brillant et ironique, Lewis Carroll nous entraîne dans une folle cavalcade en façonnant l’ode à l’imagination. Il offre une galerie de personnages ou choses pittoresques comme un modèle du dessus du panier et d’un monde totalement étrange sans ménager les préjugés et les prétentions de qui ne parlent qu’à leurs convenances.

John Tenniel a donné aux membres de ces cours loufoques des traits inoubliables. Carroll, de son côté, après s’être amusé avec Alice à écouter des leçons de morale absurdes et des poèmes farfelus, s’est lancé seul, en 1876, à bord d’une nef des fous victorienne où l’on s’exprime en vers rimés, dans une chasse au Snark – créature indéfinissable, fabuleuse et fatale.

Mais tout avait commencé car Alice aura donc vécu (mais pour l’éternité de la littérature) trois vies sous la plume de Lewis Carroll. Ses premières aventures sont souterraines. Elles furent adressées via son manuscrit enluminé par lui-même et en cadeau de Noël 1864 à Alice Liddell. Un an après, curieuse et réfléchie, Alice affirme au grand jour un scepticisme tempéré dans le récit d’un rêve cruel de rencontres merveilleuses où elle ne cesse de changer désespérément de taille. Elle sera enfin triomphante un peu plus tard en traversant un miroir enchanté pour s’assurer un trône de Reine.

Sous l’Éclatante Beauté d’Alice, ces histoires sont d’une parfaite simplicité. Il en découle cependant une chaîne d’événements imprévisibles et burlesques dans laquelle, grâce au style brillantissime de Carroll, le lecteur est emporté avec délice. Malgré la drôlerie, ce roman est aussi une réflexion profonde et paradoxale sur la fiction et sur le réel.
Après tout, d’une beauté insolente et innocente, une telle héroïne rend les hommes stupides. Elle n’en tire pas gloire. Elle sait, qu’hormis un lapin et un sourire de chat, choses et êtres finissent toujours en colère. Et le cas échéant les compliments l’insupportent et elle est farouchement indépendante.

jean-paul gavard-perret

Lewis Carroll, Alice suivi de La Chasse au Snark, Nouvelles traductions. Édition bilingue et illustrée trad. de l’anglais par Philippe Jaworski. Illustrations de Lewis Carroll, Henry Holiday & John Tenniel, Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade (n° 681), 2025, 1024 p. – 69,00 €.