Jean Dubuffet & Valère Novarina, Personne n’est à l’intérieur de rien
Novarina à la suite de Dubuffet va faire saillir, jaillir voire éjaculer la « bête » dans la langue en lui procurant des frissons complexes. Il s’agit dans les œuvres des deux créateurs de créer une suite de percées, d’ouvertures qui taraudent la question du plaisir, de ses transferts. Le peintre invite le jeune auteur qui lui écrit moins en amitié qu’en curiosité à franchir le seuil du corps en tant que simple enveloppe du voyeur. Le poète, grâce à lui, va apprendre à transgresser la frontière entre le corps et l’âme, les sens et le sens. Il trouve donc dès le début de sa carrière chez le peintre un maître.
Pour les deux la séduction passe par une expérience « hors-cadres ». Elle permet à l’inconscient qui habituellement ne connaît pas la traversée des frontières un franchissement. La saveur de telles œuvres tient au fait que l’inconscient est donc pris à revers. La jouissance ne passe plus par une thématique mais par la matière même de la langue. Elle ne se contente plus de l’exploitation « anecdotique » d’un « objet ». Surgit dans les deux œuvres une paradoxale incarnation qui fait le corps glorieux au sens religieux du terme. Mais il ne s’agit plus pourtant de celui des mystiques.
Le corps de la langue passe du gisant au jouissant et du jouissant au gisant par une « vie matérielle » incarnée en un langage à la « mise » particulière. Celle qui lui permet de se “ défaire ” en un désir particulier. Mais pas celui qu’on croit puisque, pour l’auteur comme pour Dubuffet, « rien n’est à l’intérieur de rien hors de l’espace ». Et s’il « n’existe qu’un seul amour dans ce monde » (Camus), le peintre confirmé rappelle à son jeune correspondant qu’il s’agit de celui du langage (plastique comme littéraire). L’auteur saura s’en souvenir en le déplaçant perpétuellement dans la littérature « romanesque », dramatique, poétique afin de répondre aux questions qui jusque là « n’étaient pas posées par les mots » (in « Je suis», P.O.L). Ils vont avec Novarina sortir de leur « trou ».
jean-paul gavard-perret
Jean Dubuffet & Valère Novarina, Personne n’est à l’intérieur de rien , préface de Pierre Vilar, L’Atelier Contemporain, 2014, 156 p.
