Hamlet/Fantômes (William Shakespeare / Kirill Serebrennikov)

Hamlet/Fantômes (William Shakespeare / Kirill Serebrennikov)

©-Vahid-Amanpour – Théâtre du Châtelet  

En entrant dans un appartement nimbé d’une lumière noble et blanche, mais sans doute sinistré, on pousse une brouette chargée de crânes. Le mal est fait, il en reste des traces ; nous ne pouvons plus porter sur l’histoire un regard innocent. Le propos se présente comme une exploration spontanée de l’œuvre de Shakespeare et de ses résonances : Kirill Serebrennikov a choisi de sonder la célèbre pièce de façon thématique, en présentant des tableaux qui déclinent successivement une dizaine d’instances déterminantes. Ainsi, le premier acte interroge un Hamlet historique, voué à la tragédie des champs de bataille, dans le macabre désordre de l’histoire. Le deuxième pose la question de savoir si un homme ne serait pas déjà un comédien, puisqu’il est déjà un personnage. Il en est alors comme si Hamlet était en bord de scène, sommé d’avoir à jouer un rôle, envisageant plusieurs perspectives pour conquérir sa propre identité. 
Ces fresques sont constituées comme autant de questions visant à nourrir des incertitudes, à évoquer des hypothèses, à envisager des nœuds. Le propos fait un éloge de la viduité et de la liberté de l’acteur, tout en se forgeant grâce aux multiples échos que peut avoir le personnage dans l’œuvre. 

Hamlet réfléchi, réfracté, disloqué, déchiré, reconstitué ; c’est à l’investigation d’un palimpseste qu’on assiste, déployant un kaléidoscope de personnalités, fugaces ou prégnantes. Ainsi les spectres de Sarah Bernhardt, d’Antonin Artaud viennent-ils s’installer, chez eux, fantômes doués du pouvoir de nous hanter et de revivre dans cet espace de fantastique délibération dramaturgique. Le spectacle, riche, est chargé de références et de novations : ainsi d’Ophélie noyée debout sous la pluie, quand la lumière dorée de l’illusion amoureuse devient blanche chirurgicale, sur la brèche d’une lucidité éperdue triomphante. Aussi bien assiste-t-on tantôt à la délimitation d’une scène de crime, qui précède l’attelage de la reine, prête à déplacer les miroirs, dans un effort d’élucidation, fût-il suicidaire.
Une utilisation des nouvelles technologies, qui permettent de conjoindre les visages, pour les faire évoluer, finalement les fondre dans la duplicité de leurs semblances. Des symboles : dans la valise pour la prison, du papier à musique et une paire de lunettes : voir le mal et en répondre. Une évocation des représentations russes de la pièce, censurées ou avortées, hommage de dissidence dans laquelle sourd le chant intime d’un fils qui cherche à se libérer du(des) père(s). 

Les discours présentés s’affrontent, suspendus : jamais trop dits, dans les redondances indéfinies du jeu, éclats invinciblement neufs, toujours aussi difficiles à prononcer, envolées verbales qui disent le trait, l’intention plutôt que le fait. Cela donne lieu à de multiples reprises, des redites, ou plutôt des répliques ; des points de suture – à moins que ce ne soient des lignes de fracture, voire de traits de rupture lancé(e)s avec vigueur et pugnacité. Le théâtre comme solution de continuité. On dirait des invectives qui se conjuguent, pour constituer une ode à la mascarade, un hommage à la représentation, le lieu où nos passions intimes prennent la figure de l’évasion.
Il y a bien là exubérances et initiatives qui peuvent déconcerter, car il est question de surprendre l’acte de jouer dans sa tension et l’acte de vivre dans son désespoir. Célébrer le jeu, s’installer dans les frasques de la falsification des figures, seul refuge authentique. On est délibérément et joyeusement désorienté(e)(s) dans la répétition et la variation des topoï les plus massifs du texte ; les néons qui circulent sont manière de surligner les tirades, de les floquer, de les disloquer, pour nous interloquer et nous édifier. Un spectacle monstre, porté par la fureur de ne pas se situer entre l’harmonie et la foudre. 

 

costumes Kirill Serebrennikov 

Avec Filipp Avdeev, Odin Lund Biron, Judith Chemla, August Diehl, Nikita Kukushkin, Kristian Mensa, Shalva Nikvashvili, Bertrand de Roffignac

Musique (commande du Théâtre du Châtelet) Blaise Ubaldini (avec un extrait de la sonate pour piano n°2, opus 64 de Dimitri Chostakovitch) ; direction musicale Pierre Bleuse (7 au 9 oct.), Yalda Zamani (11 au 19 oct.) ; orchestre Ensemble Intercontemporain ; co-création costumes et masques Shalva Nikvashvili ; chorégraphie Konstantin Koval ; lumières Daniil Moskovich ; vidéo Ilya Shagalov ; sound design Julien Aléonard ; dramaturgie Anna Shalashova ; dramaturgie musicale Daniil Orlov ; collaboration artistique à la scénographie Olga Pavluk ; cadreur Frol Podlesnyi. 

Au Théâtre du Châtelet, 1 place du Châtelet 75001 Paris 01 40 28 28 40 

https://www.chatelet.com/programmation/25-26/hamlet

Du 7 au 19 octobre 2025, mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h. 

En français, anglais, allemand, russe (surtitrés en français et anglais) 

Création 
Nouvelle production du Théâtre du Châtelet en coproduction avec Kirill & Friends Company 

Laisser un commentaire