Anne Malaprade, Parole, personne
Ce livre crée un rassemblement complexe et savamment organisé. Il est monté en deux séries en miroir : aux textes en prose de « Négatif, inspiration »), titrés et numérotés de 1 à 19 répondent les 19 poèmes (« Tirage, expiration ») numérotés de la même manière. Existe donc – en retour des abysses noirs de l’inconscient » -les images et sons d’un corpus étrange.
Si bien que Parole, personne tente de saisir ce qu’il en est du corps Mais pas n’importe lequel : celui des femmes de ce « nous » féminin « des filles Muettes » dont il convient d’entendre-voir « les extraits fragments passions états folies du corps-éclat ».
Par ailleurs, la voix de Malaprade émet ici un collectif. La poétesse parle pour « les jeanne les catherine les femmes cancérées les sans-hommes / les entêtées les volontaires les tuées tues ». Mais l’auteure ne s’arrête pas en si bon chemin. La parole de « Personne » devient celle du monde au-delà du genre et des pays. Et comme avec « Lettres au corps », « Notre corps qui êtes en mots » et « L’hypothèse Tanger », le je devient un autre, il est un mais multiple. Il ne se limite pas à « anne ».
Et la créatrice de le signifier: « Je suis parlée dans la continuité des choses, portée interconnectée. Elles – sœurs, mères, filles, élèves, amies, actrices, écrivaines – adviennent dans le sommeil, rappellent l’exigence du voilement, la vérité parfois insoluble en solution souffrante. » Surgit progressivement un portrait énigmatique d’une femme qui rêve de rêver le réel comme le possible. Existe alors une confrontation femmes/hommes. Les premières sont au cœur du livre jusque dans « la chair du mot corps » devant « le pouvoir des hommes » qui est – dit-elle – aussi « pouvoir la ligne de nos défaites ».
Au-delà des anecdotes et de narrations où la violence physique et psychique est associée à la figure paternelle mutique et dérangée au côté d’une « mère en morceaux», Anne Malparade tente de casser la folie des puissances masculines, qu’elles soient de l’ordre de l’intime ou du politique et de l’Histoire. Pour autant, la division n’est pas de mise : car le désir est plus complexe que les pétitions de principe.
Demeure une histoire complexe d’interpénétration. L’auteure n’en cache rien. Et c’est ce qui donne à son livre une puissance de feu qui ne va pas pour elle sans honte et culpabilité. Rien ne se limite à une simple dualité là où « Sous les pulls la technique du corps exprime la maladie d’une âme sous-exposée ».
Le « je » qui se neutralise en « personne » n’est donc là que pour dire les jeux des interdits et de la complexité. Ils empêchent toute énonciation définitive et univoque.
D’où l’aspect forcément complexe d’une écriture savante et simple où l’intime ne cesse de courir après ses entraves et sa liberté.
jean-paul gavard-perret
Anne Malaprade, Parole, personne, Editions Isabelle Sauvage, 2018, 102 p. – 17,00 €.