Il s’agit encore du langage — mais dont le sens ou déjà son absence est donné dans les quelques arpètes qui restent et qui mettent fin au verbiage. Il n’a de sens que dans la mesure où il précède immédiatement le silence.
Beckett l’a prouvé en introduisant du possible dans l’impossible pour s’emparer de ce qui a échappé à Bataille et qu’il aurait trouvé s’il avait — dit-il dans Le Coupable — “moins souvent retiré les robes des filles.”
Beckett fut donc plus sérieux que lui. Il savait que l’assaut, non seulement des maîtresses, mais des doutes et leur état de siège — et jusqu’au flot goudronneux de corbeaux déversé dans le soir par-dessus les arbres - n’effacent pas l’arrivée des mots. En conséquence, nous n’entendons pas forcément le silence, mais il est bien là, tandis que dans la lagune du discours l’eau salée se mêle à l’eau douce et la terre qui semble à l’arrêt avance à toute allure.
Machin qui — selon les hommes — l’a créé depuis les cieux n’y peut rien et c’est non aux miracles de la science mais aux maîtres de l’effacement de poursuivre l’exercice de Beckett afin de faire surgit le son le plus sourd du tréfonds des pécheurs aussi risibles qu’ennuyeux que nous sommes dans nos rotations.
Comme la terre qui devient boue, les mots se diluant peuvent se rapprocher du silence, pour dire mal — donc mieux. Car au commencement n’était pas le verbe. Néanmoins, le père dit fondateur, sortant de sa guérite, peut lire avec horreur tout ce qui en son nom fut écrit.
jean-paul gavard-perret
Photo Will Sanders