Gilbert Bourson, Chine

Nuits de chine

A ceux qui pensent comme le nar­ra­teur que leurs facul­tés sont affai­blies ou relâ­chées et qui ne trouvent plus d’objets assez déter­mi­nés et fixes pour s’y atta­cher for­te­ment et qui manquent de vigueur, il est conseillé de nager dans le chaos d’un tel livre où les idées ne sont presque plus que des sen­sa­tions, et où l’entendement passe par divers objets, des êtres dou­teux et un tra­vail lit­té­raire qui ondule sur l’étang d’un ima­gi­naire qui n’a rien de souffreteux.

D’une cer­taine manière mille-feuilles même s’il n’en com­porte que 150 envi­ron, ce roman au titre exo­tique est piégé à tous les étages. Bien mal loti sera celui qui pense trou­ver ici du Pierre Loti. La chine n’est pas en effet celle à laquelle on pense a priori. Le roman com­mence en bam­boche où les chi­noi­se­ries ne sont pas for­cé­ment extrême-orientales. Il se pour­suit en road-movie avant de deve­nir ce que nous nom­me­rons dide­rot­man quasi phi­lo­so­phique là où, sur une vaste éten­due de fouille, le livre lui-même se dédouble et se tra­hit pour un épi­gone qui lui-même se prend au besoin pour un autre.

Mais ce roman se conçoit aussi aisé­ment comme une conquête du Graal à atteindre dans un vaste dépo­toir. Le nar­ra­teur le gère bien mieux que ses ami(e)s ne le croient. En tant d’ailleurs que héros de ce livre ou de son double (« Chaine »), Bri­cole (c’est son nom) y voit moins sa propre image que celle de l’auteur.
Mais ce sera à vous lec­trice ou lec­teur de faire avec. Pour peu — mais nous n’en dou­tons pas -  que vous deve­niez obsé­dés par le lan­gage de Bour­son, le sexe et le lan­gage des fleurs. “Avec ce genre de livre moderne on est perdu” nous pré­vient le nar­ra­teur. Mais per­sonne ne peut vous dire pourquoi.

Et entre orage et orange, dans des quar­tiers où rien for­cé­ment ne s’arrange, la médio­crité de notre uni­vers est exhaus­sée par cette balade et bal­lade. Grâce au maître foui­neur Bri­cole (et qui s’y emploie), avec Fis­ton qui n’est ni son père ni son fils mais pos­sède  bien des lubies, avec Nadia (à trois ils peuvent se retrou­ver “sur la même chaise tom­bale, chat de Schrö­din­ger, montre de Ein­stein, mais bien là vivants et morts, chai­sière et Grand Nez Blanc”), le roman n’a cesse de dépo­ter bien avant que s’agglutinent d’autres fats et cochères par­fois au groin humide mais pas tou­jours perspicaces.

Nous ne pou­vons donc que nous lais­ser déri­ver en un roman d’un tel régime. Il n’est pas — et en hom­mage à Michaux — jusqu’aux plis de s’y révol­ter par les cla­que­ments de la langue.

jean-paul gavard-perret

Gil­bert Bour­son, Chine, Douro, Paris, juillet 2023, 161 p. — 12,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Erotisme, Romans

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