La scène de la rue est avant tout le lieu privilégié de la prestidigitation des images à qui sait comprendre leurs illusions. Cécilia Jauniau s’en nourrit pour montrer le corps. Ses oeuvres le font fonctionner autrement à travers dessins, collages et photographies. L’artiste refuse autant sa destruction que sa simple réplique. L’érotisme explose selon diverses lois plus métaphoriques même si se retrouvent des sortes de narrations — S.M. ou effeuillées roses.
Cécilia Jauniau a étudié la peinture et les arts plastiques à l’Université Paris 8 puis au Queen’s College de New York. Elle y a découvert la photographie et plus particulièrement le portrait er le nu féminin. Produisant des images de l’intimité, Cécilia Jauniau ne les offre pas selon les pauses traditionnelles mais sous divers types de tensions et de fragments propres à susciter le mystère.
Si bien que ses portraits de femmes sont à la fois figuratifs et pratiquement abstraits. Les modèles lui permettent de saisir leur individualité mais tout autant d’exprimer ses obsessions. Les « dégrafages » créent des suites de mouvements inédits du corps, L’espace est à l’intérieur de la femme. Elle n’est plus un oiseau domestique.
N.B. : plusieurs collages de l’artiste sont exposés à la galerie Arsenic à Paris du 24 novembre au 22 décembre 2022.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’amour.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
“Ce que je préfère, c’est aller là où je ne suis jamais allée.” — Diane Arbus.
A quoi avez-vous renoncé ?
La tranquillité.
D’où venez-vous ?
D’une étoile derrière laquelle l’enfant est une image morte.
Qu’avez-vous reçu en “héritage” ?
« Je n’appartiens à personne » comme dirait Patrick Dewaere.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
La musique.
Comment définiriez-vous votre vision de la nudité ?
Ne circulent que des images de corps sans chair. C’est à l’opposé qu’il faut que j’aille.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Une petite fille à genoux récitant un « je vous salue Marie » face à une autre petite fille debout charismatique et autoritaire.
Et votre première lecture ?
(qui m’interpella à 12 ans) “Justine ou les Malheurs de la vertu”.
Quelles musiques écoutez-vous ?
« Celles de musiciens véritablement habités (…) qui possèdent cette qualité rare de pouvoir accéder fréquemment au sommet de l’extase musicale, et d’être ainsi sur le pied des plus grands inspirés » (extrait d’un article de Franck Ténot à propos de John Coltrane).
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Le Mariage du Ciel et de l’Enfer” de William Blake.
Quel film vous fait pleurer ?
« Il était une fois dans l’Ouest », les images de Sergio Léone sur les musiques d’Ennio Morricone, « Voyage au bout de l’enfer », « le voleur de bicyclette », « Elephant Man”, “Gerry”, “Mouchette”, “M le Maudit”… Larmes, je ne sais pas, grands sentiments oui.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un autre.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Personne.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Rue Haxo (titre d’un livre sur mon travail qui va bientôt sortir aux Editions L’Espace d’En Bas), c’est de là que tout a démarré.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Les accidentés, les possédés.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Passer une soirée à picoler avec Billie Holiday, Charlie Parker, John Coltrane, Jim Morrison, Kurt Cobain, Joe Strummer, Jeffrey Lee Pierce, François Truffaut, Patrick Dewaere, Pierre Desproges, Maurice Ronet, Marie Trintignant, Guillaume Depardieu, Serge Reggiani, Simone Signoret, Elvis Presley, Edit Piaf, Alain Bashung, Ali Farka Touré, Chet Baker, Elliot Smith, Marvin Gaye, Lizzy Mercier Descloux, Rowland Howard, Daniel Darc, Lou Reed, Nico, Lhasa, Jack Kerouac, Hervé Guibert, John Fante, Arthur Rimbaud, Robert Mapplethorpe, Vincent Van Gogh, Pierre Molinier… et autres (j’en oublie).
Que défendez-vous ?
Je tente d’exister dans un monde avec les autres sans être bouffée par le fait même de leur présence.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
“L’Amour c’est donner quelqu’un qu’on n’a pas à quelque chose qui n’en veut pas”.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
“La question est oui mais quelle était la réponse ?”
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quelle question ai-je posé de vous oublier ?
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 18 novembre 2022.