Cécilia Jauniau, A l’intérieur & Variations sur l’Origine du Monde

L’image la plus nue

Produi­sant des images de l’intimité, Céci­lia Jau­niau ne les offre pas selon les pauses tra­di­tion­nelles mais sous divers types de ten­sions propres à sus­ci­ter le mys­tère. Un monde natu­rel (le nu) et arti­fi­ciel (for­ma­lisme des pauses) s’y mêlent. Si bien que ses por­traits de femmes sont à la fois figu­ra­tifs et pra­ti­que­ment abs­traits. Les modèles lui per­mettent de sai­sir leur indi­vi­dua­lité mais tout autant d’exprimer ses obses­sions. Les « dégra­fages » créent des suites de mou­ve­ments inédits du corps, des mircro-structures, des délices du delta (ou d’ailleurs), des sur­vol­tages, des dégrillages, des idées forces. L’artiste sait que créer est tout « sauf  faire la pin­tade ». L’espace est à l’intérieur de la femme. Elle n’est plus un oiseau domes­tique.
Céclila Jau­niau a étu­dié la pein­ture et les arts plas­tiques à l’Université Paris 8 puis au Queen’s Col­lege de New York. Elle y a décou­vert la pho­to­gra­phie et plus par­ti­cu­liè­re­ment le por­trait et le nu fémi­nin. Pour autant, elle n’est pas à pro­pre­ment par­ler fémi­niste. Elle s’attache à des indi­vi­dus, à des per­son­na­li­tés. Au début de sa car­rière, s’appuyant sur des images chi­nées, elle recher­chait des visages durs et sévères afin d’y dis­cer­ner les femmes qui se cachaient der­rière. Leur rete­nue avait trait à leur his­toire per­son­nelle et fami­liale. Ces femmes étaient mon­trées cor­se­tées mais — et consé­quence — tout autant désha­billées. Il s’agissait de désen­cla­ver celles qui étaient pri­son­nières de l’enfer de leur propre repré­sen­ta­tion. « Les libé­rer passe par le désir, l’envie de suivre leur ins­tinct. Elles sont prises en tenaille par la société et les conve­nances, j’ai envie de les débri­der » écri­vait l’artiste.

Le nu lui a ouvert un nou­veau champ. Il libère moins l’image qu’une « parole » mur­mu­rée ou muette. Le corps y reprend ce qui lui a été confis­qué. Il peut assu­mer ses désirs. En ce sens, Céci­lia Jau­niau reste pas­sion­née par les corps mor­ce­lés de Bell­mer, le féti­chisme de Moli­nier, la puis­sance figu­rale de Nan Gol­din et la cru­dité d’un Sau­dek et ses corps de femmes aban­don­nés, crus, dégou­li­nants, façon­nés, per­vers. « Ce sont des démons­tra­tions presque mons­trueuses » pro­clame l’artiste. Elle a décou­vert là le grand che­min de sa recherche. Ne choi­sis­sant jamais des modèles pro­fes­sion­nels, elle trouve ses femmes par annonces puis dis­cute lon­gue­ment avec elles. Comme l’écrit l’artiste : « Elles relèvent un défi la plu­part du temps. Leur démarche est liée à leur his­toire per­son­nelle. Ce pas­sage à l’acte, cette mise à nu est quasi thé­ra­peu­tique. Elles res­sentent le besoin de s’affirmer pour maintes et maintes rai­sons, comme une rup­ture fami­liale, une culture trop oppres­sante. Leur geste va contre leur édu­ca­tion où les bri­mades qu’elles ont pu subir ».
Désor­mais, Céci­lia Jau­niau asso­cie le des­sin et la pho­to­gra­phie. Après avoir capté des épreuves, l’artiste par le des­sin remo­dèle le corps, le pousse un peu plus loin. L’idée de sculp­ture est donc cen­trale. Dans ce tra­vail en deux temps, l’obsession de la construc­tion crée des lignes de vie (à main levée afin de perdre un trop de maî­trise) Cela revient à ajou­ter un filtre à un autre filtre. Voire à créer un camou­flage utile. Il per­met de frayer un che­min de désir qui ne passe plus en cares­sant les fan­tasmes. Le des­sin au besoin le divise sans sépa­rer, l’unit sans fusion­ner. Les images portent ailleurs que dans le men­songe ou l’illusion. Cécila Jau­niau en de tels rites touche à l’image la plus nue et non à la trop simple nudité.

jean-paul gavard-perret

Céci­lia Jau­niau et Julie Crenn , A l’intérieur,
Cécila Jau­niau, Varia­tions sur l’Origine du Monde,
Edi­tions Der­rière la Salle de Bain, Rouen

 

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