L’amère vérité”. Entretien avec Polina Jerebtsova (L’asile des fous)

La guerre en Ukraine se pour­suit, nos entre­tiens aussi. Polina Jerebt­sova, l’auteure du Jour­nal de Polina (10/18, jan­vier 2015) n’est – pour le moment – pas connue de tous les lec­teurs fran­çais, c’est pour­quoi nous avons décidé d’accompagner son témoi­gnage par la tra­duc­tion inédite d’un de ses textes, qu’elle nous a aima­ble­ment fourni. Elle est à la fois écri­vain, jour­na­liste et psy­cho­logue.
L’entretien qui suit a été réa­lisé par cour­riel et tra­duit du russe.

Entre­tien :

AdL : Etes-vous en Rus­sie actuellement ?

PJ : Je suis une refu­giée poli­tique. J’ai 37 ans. Je vis en Europe. J’écris des livres sur la guerre en Tchét­ché­nie, car je l’ai vécue dix ans durant. Au début de cette guerre, j’avais 9 ans ; quand elle s’est ache­vée, près de 20 ans. Tout au long de cette décen­nie, j’ai tenu un jour­nal. C’était une période atroce pour la Tchét­ché­nie, un vrai enfer pour cette répu­blique mul­tieth­nique. Dans les années 1990, il y avait là-bas une popu­la­tion com­po­sée de Tchét­chènes, d’Ingouches, de Russes, d’Arméniens, de Tsi­ganes, de Kou­myks, de Juifs et de nom­breuses autres eth­nies. Les bombes sont tom­bées sur tous ! Les mères ont dû enter­rer leurs enfants. Toutes les mères pleurent et hurlent de la même manière sur [les cadavres de] leurs petits…

Quelles sont vos impres­sions de la guerre en Ukraine et de l’état d’esprit de vos compatriotes ?

En Fin­lande, où je vis actuel­le­ment, il y a des mani­fes­ta­tions contre la guerre. Beau­coup de gens se portent volon­taires auprès des camps de réfu­giés. Nous aidons les Ukrai­niens autant que nous le pou­vons, étant donné que beau­coup de familles [ukrai­niennes] sont res­tées sans abri.

A notre connais­sance, la pro­pa­gande est omni­pré­sente dans les médias russes. Pensez-vous qu’elle est cré­dible pour la plu­part de l’intelligentsia ? Est-ce que les gens autour de vous s’informent auprès de médias étrangers ?

Cela fait long­temps qu’une pro­pa­gande ter­rible, tor­ren­tielle, atroce règne en Rus­sie. On ne peut y apprendre la vérité que de la bouche des témoins, on ne sau­rait croire les médias. Certes, il y avait quelques médias russes qui s’efforçaient de répandre la vérité, mais le pou­voir les a inti­mi­dés quand il ne les a pas pri­vés de moyens de communiquer.

Y a-t-il des artistes, des écri­vains et d’autres intel­lec­tuels qui mani­festent leur oppo­si­tion à la guerre, parmi vos amis et vos connais­sances ? Si c’est le cas, com­ment le font-ils ?

Mal­heu­reu­se­ment, les paci­fistes ne peuvent expri­mer leur point de vue sur la guerre qu’à tra­vers leur art. Ils n’ont pas moyen d’arrêter la machine démente de la guerre, même si toute per­sonne sen­sée aime­rait l’arrêter. Autour de moi, les gens mani­festent, se rendent utiles en tant que volon­taires dans les camps de réfu­giés, col­lectent des pro­duits ali­men­taires et d’autres biens pour les envoyer aux Ukrai­niens qui res­tent dans les zones où sévit la guerre. Les poètes écrivent des vers anti­mi­li­ta­ristes, les peintres peignent des tableaux antimilitaristes.

Vous sentez-vous concer­née par le dur­cis­se­ment de la censure ?

Oui. Je suis contre la cen­sure. L’amère vérité est tou­jours pré­fé­rable au doux mensonge.

Avez-vous l’impression de pou­voir agir ou d’être impuis­sante dans la situa­tion actuelle ?

Comme disent mes connais­sances fin­lan­daises sur un ton de plai­san­te­rie : « Il faut sto­cker des conserves et des balles. » Bien sûr, per­sonne ne veut faire la guerre, mais nous devons être prêts à répondre en cas d’agression.

Quelle tour­nure peuvent prendre les évé­ne­ments dans les jours et les mois à venir, à votre avis ?

Je sou­haite que le calme règne en Ukraine et dans le monde entier, qu’il n’y ait plus de feu, de bombes, d’explosions. Paix dans le monde !

Avez-vous un mes­sage à adres­ser aux lec­teurs, aux jour­na­listes et aux écri­vains français ?

Chers amis, nous devons dire et écrire la vérité sur toute guerre, pour que les géné­ra­tions sui­vantes sachent com­bien elle est ter­rible, sans dis­si­mu­ler aucun aspect des conflits. Nous devons mettre en garde nos des­cen­dants en leur appre­nant que la guerre est inad­mis­sible ! Nous devons être capables de défendre l’être humain face au sys­tème dénué d’âme, nous devons faire voter des lois aptes à défendre les droits humains envers et contre les tyrans et les poli­ti­ciens radi­caux. Nous devons gar­der le sou­ve­nir des crimes contre l’humanité. Nous devons appe­ler la guerre par son nom, car toute guerre est criminelle.

consul­ter notre dos­sier “De la guerre entre la Rus­sie et l’Ukraine : les entre­tiens du litteraire.com”

Pro­pos recueillis par agathe de las­tyns pour lelitteraire.com, le 31 mars 2022.

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