Les femmes d’Elise Bergamini ont une vraie tristesse et une indifférence certaine quant aux significations qu’on veut bien leur accorder. Leur dess(e)in occupe le vide. Il n’y a plus ici la trop fameuse et classique « horreur sacrée de la présence ». L’artiste en évoquant une silhouette ne la nie pas mais ne cherche pas plus à la « psychologiser ». Elle reste néanmoins communicative et intelligible jusque dans ses manifestations les plus singulières : lorsque par exemple, de yeux riches, le dessin tombe — bouche immobile — et les cheveux se déroulent.
Elise Bergamini propose au sein même de la figuration non seulement une vision surréaliste mais le désaveu de toute esthétisation de surface. Plus que l’épiderme de la femme, l’épiderme du support devient l’espace et où le langage ouvre encore plus profond que les mots. Le dévoilement donne son congé à la perception commune pour une autre venue, un autre rite. Au moment où certains cherchent dans la féminité une image oubliée, une image-mère, où d’autres s’en font les tapissiers, les tailleurs ou les cuisiniers, Elise Bergamini la laisse vivre dans sa superbe absence.
Semblant n’avoir rien à perdre et pas plus à prouver elle abandonne le regardeur au sein de promenades. Elle y va sans lui en feignant de ne pas se soucier de ses propres mécaniques plastiques. Elle semble ne jouer jamais les charmeuses de serpent. Mais leur dit en filigrane : « l’être ce sont mes femmes, le non-être c’est vous ».
Elise Bergamini, Editions Derrière La Salle de Bain, Rouen :
- My Sweet life (avec Marie-Laure Dagoit), 10,00 €.
- Lost Girl, 10,00 €.
- She Desappeared, 7,00 €.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le jour,
la vie,
les idées qui trottent dans ma tête,
le dessin ou le moulage qui ne sont pas terminés
le café, le soleil,
la contrainte du travail alimentaire…
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils m’habitent, mais il faut que je les remue un peu pour qu’ils remontent à la surface.
Une fois décantés … des images gravées, l’innocence d’instants passés, des lumières, des odeurs, des sons, la découverte des sens… réapparaissent.
Nécessaire de les raviver de temps en temps pour me remettre les idées en place.
A quoi avez-vous renoncé ?
à une robe de mariée
D’où venez-vous ?
de l’origine du monde
Qu’avez-vous reçu en dot ?
de la fragilité, de la sensibilité
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
la négligence
Un petit plaisir — (quotidien ou non) ?
un pot de crème à la pistache!
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
je ne sais pas.…
Où travaillez vous et comment ?
à l’atelier que je partage avec mon compagnon, au mur, accroupie, sur la banquette, quelques fois dans le train… et mon cerveau n’importe où et n’importe quand
Quelles musiques écoutez-vous en travaillant ?
Chopin, Bernard Hermann, Nina Simone, Gainsbourg, The Clash, The Pogues, Neil Young…
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Conversation en Sicile d’ Elio Vittorini
Quel film vous fait pleurer ?
Hunger de Steve McQueen (II) — 2008.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
moi
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
à personne
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
New York ou le sommet d’une montagne, l’altitude
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Kiki Smith, Alina Szapocznikow, Bruce Nauman, Mark Manders, Francis Alÿs, Sandra Vásquez de la Horra, Louise Bourgeois.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
du beau papier, de la cire, de la résine, de la porcelaine et du fil.
Que défendez-vous ?
la sincérité, l’humain
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas” ?
Pourquoi donner quelque chose qu’on n’a pas ? “L’amour c’est donné quelque chose qu’on a, à quelqu’un qui en veut ou qui n’en veut pas”.
Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?”.
Cette phrase résume son cinéma.
Chapeau de présentation et entretien par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com en avril 2013.