Un drame assourdissant
Avec Naples millionnaire !, Edouardo de Filippo introduit le chaos de la seconde guerre mondiale dans ses comédies ; Anne Coutureau en restitue honnêtement la vigueur et la profondeur au théâtre de la Tempête.
La simple richesse du drame d’Edouardo
Les fils à linge balancent leurs draps blancs sur le plateau modeste ; le propos est introduit par un générique, qui ouvre le spectacle comme au cinéma. Puis le lever du père donne lieu à un théâtre d’ombres.
Le ton est réaliste, les personnages composent une scène à partir de disputes ; la pièce nous plonge dans l’univers de la pénurie, de la dérision, de l’indécision. Les répliques s’inscrivent dans le registre de l’ambigüité : la précarité de la situation est exprimée par l’incertitude des rapports humains. La majeure partie du texte est jouée en groupe, le collectif manifestant la proximité et la problématique solidarité des personnages. Edouardo de Filippo tourne les situations les plus dramatiques en scènes furieusement cocasses.
Les rebondissements se multiplient. Certains échanges sont empreints de violence. Toutes les tendresses sont imprégnées de rugosités, d’aspérités, d’acidité. Le texte insiste sur le traumatisme de la seconde guerre mondiale, marquant les esprits de ses horreurs.
La pièce souligne cruellement l’opposition entre le retour des camps et l’opulence des opportunistes. Les événements sont dignes d’une tragédie, mais sont traités sur un mode souple, allègre, sinon léger. Anne Coutureau utilise des intermèdes musicaux pour organiser des ballets aérant et dynamisant la représentation. La mise en scène, discrète, sert efficacement les contrastes et les richesses du texte.
Les acteurs, notamment les deux principaux rôles (Sacha Petronijevic et Perrine Sonnet) font une prestation sobre et remarquable d’efficacité. Ils parviennent à tenir soutenue et intéressée l’attention du public en se contentant de servir avec la plus grande sincérité le texte, certes foisonnant de rebondissements.
Le drame étourdissant de la vie A terme les rapports entre les personnages s’inversent. Celui qui apparaissait benoit, voire benêt initialement prend des accents pathétiques et dramatiques, tandis que la madone ingénieuse se révèle prodigieusement désemparée.
Lors de la représentation, les acteurs changent de façon efficace et ostentatoire le décor. La libération aura apporté son cortège de réjouissances et d’illusions. Mais lorsque les provisions reviennent les tensions n’ont pas disparu.
La prospérité ne prodigue pas l’allégresse et les rapports humains au contraire s’aiguisent. Les personnages façonnent leur propre décor, sont montrés en train de jouer une scène dans la scène. Tout cela accentue l’identification du jeu et de la vie, assimilée à un drame assourdissant et risible.
christophe giolito
Naples Millionnaire !
d’Eduardo De Filippo
Avec :
Maria Rosaria Eloïse Auria ; Errico “Settebellizze” Francesco Calabrese ; Adelaïde Schiano Cécile Descamps ; Riccardo Spasiano Emmanuel Gayet ; Federico et le docteur Pascal Guignard ; Face de moine Pierre Benoist ; Ciappa Patrick Courteix ; Peppe-le-cric David Mallet ; Donna Peppenella et Teresa Pauline Mandroux ; Gennaro Jovine Sacha Petronijevic ; Assunta Sophie Raynaud ; Amedeo Gaëtan Guilmin ; Amalia Jovine Perrine Sonnet
Au Théâtre de la Tempête — La Cartoucherie
Du 20 janvier au 19 février 2012
du mardi au samedi 20h — dimanche 16h30 Réservations : 01 43 28 36 36
Mise en scène Anne Coutureau
Assistantes à la mise en scène Amélie Cayol et Isabel De Francesco ; Décor Elodie Monet ; Costumes Philippe Varache ; Lumière Patrice Le Cadre ; Son Jean-Noël Yven ; Extraits musicaux Nino Rota ; Maquillages et coiffures Solange Beauvineau
Production :
Compagnie Théâtre vivant
avec l’Aide à la Création du Centre national du Théâtre en partenariat avec la Compagnie Tabarmukk pour les costumes.