Une adaptation radieuse d’une des plus belles pièces de Tchekhov…
Vol douloureux d’une mouette, la mort silencieuse en marche dans l’usure triste d’une impossible société, d’une insoutenable solitude…
Tchekhov. La Mouette. Par ces seuls mots tout est dit : que dire qui ne soit reconnu de cet homme, ce génie tendre et sensible, qui fut médecin et fils d’une génération en douleur. Que dire devant la vie saisie, montrée dans sa nudité la plus humble, devant l’exhibition la plus franche et simple de la solitude et de la douleur d’être homme, ici, là, maintenant…
Que dire ? Qu’il faut fouiller sans cesse ces personnages, ces êtres vivants, dans leurs destins, dans leur mystère, les fouiller à s’en brûler, à s’en consumer les yeux et l’âme, puisque Tchekhov brûle la vie de ses derniers flambeaux, ses derniers brandons, à l’épuisement. Que dire, sinon que la mise en scène de Virgil Tanase - servie par des acteurs tous parfaits, tous admirables, tous justes au possible, humbles et frémissants comme un murmure, un vol de mouette - remue ce brasier dernier et mourrant qu’est La Mouette avec une force étonnante, qui se retient et s’épuise.
La clarté se fait sur un tableau figé, celui d’une étrange société surprise dans un moment particulier et anecdotique de sa vie, qui semble s’adonner aux joies d’un bord de lac. Dans ces poses suspendues se ressent la solitude de chacun, immobile à part les autres ; c’est la dérision du tumulte de la vie, son agitation vaine vers son propre épuisement, c’est sa vérité d’immobilité qui se montre. Personnages pris dans des situations humbles, aux allures simples malgré toutes les sophistications : nous sommes bien dans le cercle de la comédie, de la comédie humaine, qui peut faire rire et y parvient souvent, gaiement, comme Le Misanthrope fait rire, mais douloureusement aussi, mais avec tristesse, puisque les choses de la vie sont si légères, si légères, insoutenablement…
Quand le tableau s’éveille, d’un coup c’est le tumulte, l’agitation — la vie. Un jeune dramaturge aux élans symbolistes — ou décadents, c’est selon -, Treplev, tente de faire jouer une de ses pièces devant cette société qui s’agite autour de sa mère, comédienne de talent sur le déclin. Il tente de la faire jouer par une jeune fille qu’il aime, Nina, une rêveuse, devant un lac où volent et marchent des mouettes par milliers.
Mais impossible de jouer, puisque cette société se résume à un microcosme de personnages aux personnalités authentiques — ah le génie russe qui fait vivre tout un monde d’hommes dans une œuvre - mais des personnages de Tchekhov : médiocres, vantards peut-être, travaillés d’un rêve, d’un désir tout personnel, d’un besoin de tact, et incapables de se toucher mutuellement, de se faire entendre, et d’écouter… Incommunicabilité tragique de ces êtres au quotidien, ou mieux, incapacité à s’abandonner à une véritable tendresse, un tact pur qui serait l’issue de la solitude, comme ce jeune metteur en scène qui tente d’étreindre sa mère qui déteste son art, et Nina, mais qui lui échappent. Sa mère, parce qu’il incarne la honte du temps qui passe et l’use, parce qu’il cherche à affirmer l’urgence de laisser s’exprimer les jeunes et les nouveaux artistes, étouffés par les classiques, les v