Annie Cohen, Puisque voici l’aurore

Un souffle effleure l’orchidée

Le fleuve abon­dant des mots des pre­miers livres d’Annie Cohen chez le même édi­teur (dont L’édifice invi­sible) tis­saient une den­telle poé­tique étrange avant qu’arrive l’A.V.C. en 1999 qui han­di­capa la créa­trice. Néan­moins, l’écriture lui ser­vrira de bouée de corps tou­jours vivant et de planche de salut. Voire bien plus.
Aux textes poé­tiques fait place un jour­nal de vie qui trans­forme, trans­cende l’existence par­tiel­le­ment fou­droyée et l’écriture. L’auteure jouant entre l’intime et l’imaginaire y demeure poète au sens plein dans ses rou­leaux d’écriture où elle se fait aussi plasticienne.

La souf­france est là. Mais l’angoisse se méta­mor­phose en une quête. Annie Cohen fait état d’une expé­rience inté­rieure, mys­tique et quo­ti­dienne qui pousse à la vie et sa recon­quête ; Joe Bous­quet n’est jamais loin, lui qui par­ta­gea une expé­rience un peu simi­laire. Mais l’écriture de l’auteure est d’une sin­gu­la­rité par­ti­cu­lière.
Pen­ser la vie et l’écriture, c’est ramas­ser la tota­lité de l’intelligible et du sen­sible. Et pas la résu­mer. D’où l’importance impli­cite de Berg­son et son refus des idées géné­rales pour des moments particuliers.

Ici “un souffle effleure l’orchidée”, si bien que celle qui fut sépa­rée d’elle-même se déploie à nou­veau dans un jour­nal qui s’élève au rang de poème en prose sublime. Et si le che­min sem­blait tracé par la mala­die, la route reste ouverte. L’existence et son dire deviennent des his­toires de rap­ports et non de mur (des Lamen­ta­tions).
Annie Cohen reste à la recherche d’une hété­ro­gé­néité. Le texte et l’image qu’il ren­voie de l’écrivaine n’est pas une, n’est pas simple. Son évi­dence doit être un évi­de­ment avant qu’un nou­veau “rem­plis­sage” ait lieu.

L’auteure crée un mon­trage et un mon­tage qui per­mettent de com­prendre la valeur de la vie bien au-delà d’une poé­tique du symp­tôme. La créa­trice ne se laisse pas man­ger par son état. Et l’expression a plus d’importance que le contenu. La pen­sée ne naît que du sen­sible et de l’intelligible tou­chés qui se font face sans s’opposer.
Il existe certes des moments de dépres­sion qui empêchent le rou­leau de l’écriture d’avancer, mais l’auteure consacre sa vie à l’amour. Et si le han­di­cap per­dure, il est affronté par “les prières d’écriture” avec “une suite de tatouages, la plante, les bou­gies, la Bièvre”, etc. au nom des autres livres lus, des lieux par­cou­rus, de la Torah aussi qu’Annie Cohen reprend à sa main.

Son jour­nal devient “une émi­nence grise” où le dur désir de durer trouve une para­doxale liberté.

lire notre entre­tien avec l’auteure

jean-paul gavard-perret

Annie Cohen, Puisque voici l’aurore, Edi­tions des femmes, Antoi­nette Fouque, Paris, 2020, 125 p.- 14,00 €.

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