Pierre Vinclair, Prise de vers. À quoi sert la poésie ?

L’acte du poème

Pierre Vin­clair rap­pelle une idée majeure : la poé­sie doit refu­ser toute illu­sion de repré­sen­ta­tion ou de nar­ra­tion. D’où la néces­sité d’une cer­taine “illi­si­bi­lité” puisqu’elle échappe en ce sens au dis­cours afin d’engager un corps à corps avec la langue elle-même. L’auteur s’appuie à juste titre sur La lettre du Voyant de Rim­baud et les textes pro­phé­tiques de Mal­larmé.
Il en appelle à une poé­tique du vers et à une rhé­to­rique propres à géné­rer des visions sin­gu­lières dans une volonté de mise en char­pie d’une forme de beauté immé­dia­te­ment assi­mi­lable par le lecteur.

Le livre pêche par­fois par un carac­tère abs­cons (en ce sens, il répond à la volonté d’illisibilité que défend l’auteur…) mais il a le mérite d’insister sur le carac­tère non réfé­ren­tiel de la poé­sie digne de ce nom. Fort jus­te­ment, Vin­clair défend les poètes qui dans les années 70 et 80 ques­tion­nèrent la struc­ture de la langue (Emma­nuel Hoc­quard, Joseph Guglielmi entre autres).
Il sou­ligne aussi la musi­ca­lité poly­pho­nique et dis­so­nante du vers lorsque, comme chez Mal­larmé, elle per­met la dis­sé­mi­na­tion du sens. L’objectif est de mettre en évi­dence le fait que la poé­sie crée le sens en avan­çant. Et ce, en dévers de l’idée qu’une pen­sée pré­exis­te­rait à l’écriture. Ivar Ch’Avar lui sert habi­le­ment d’appui dans cette démons­tra­tion. Laquelle illustre aussi com­ment, jusque dans le tra­vail de la contrainte, le lan­gage se déplace.

Vinclair rap­pelle  l’importance de Blan­chot, de Bataille dans le  souci constant de défendre l’illisibilité néces­saire qui s’oppose à une poé­sie tou­jours para­phra­sable. Parmi ses réfé­rences adja­centes sur ce point, Pound est beau­coup plus per­ti­nent que Char même s’il les place dans le même ton­neau.
L’auteur garde le mérite de mettre aussi en exergue les tra­vaux d’Anne-Marie Albiach, Jean Daive ou Claude Royet-Journoud capables de cas­ser le sens admis par son indé­ci­sion . Ses défenses de Pierre Alfiéri, Fré­dé­ric Boyer, Sté­phane Bou­quet et (sur­tout) Phi­lippe Beck res­tent sur ce point moins per­ti­nentes. La réfé­rence à Roger Giroux  — visant à gêner, voire empê­cher le sens que le poète cherche sans cesse à remettre à plus tard - demeure à l’inverse essentielle.

Existent encore bien des digres­sions sur « L’acte du poème ». Elles visent à mon­trer com­ment s’opère le refus de trans­mettre une signi­fi­ca­tion immé­diate. Mais, une nou­velle fois, l’auteur se perd dans un voca­bu­laire inuti­le­ment pré­ten­tieux et sophis­ti­qué. La “haine” du sens pour­rait être éclai­rée plus sim­ple­ment.  Et si Chris­tian Prigent est bien pré­sent pour illus­trer une expé­rience des limites dans le corps de la langue,  Beckett et Nova­rina sont scan­da­leu­se­ment oubliés.
A vou­loir “tout” embras­ser, l’auteur se perd dans cer­tains consi­dé­ra­tions qui nuisent à sa démons­tra­tion de la quête vers ce qui s’écoute ou ne se lit pas “bien”.

Rappe­lons que ce n’est pas neuf. Toute poé­sie digne de ce nom le fut et l’est en son temps par ses effets de voyances afin de faire sur­gir les images les plus  sourdes.

jean-paul gavard-perret

Pierre Vin­clair, Prise de vers. À quoi sert la poé­sie ?, La rumeur libre édi­tions, 2019, 159 p. — 16,00 €.

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