La poésie “sonore” de Christian Prigent
Avec Valère Novarina, Prigent est un des deux poètes de la voix qui ne sacrifie pas pour autant le sens. Certes l’un et l’autre ont le goût de la performance mais leurs écrits font masse de sens même si le pauvre se retrouve dans de beaux draps et tous ses états. Il y a aussi dans la façon de “dire” de la liturgie et du jazz plus que du slam ou du rap. Question de génération diront certains. Voire… Ils sont à leur manière nègre blanc de la langue et officiant là où ça pulse et impulse.
Souvent, Prigent prend par surprise comme s’il se chauffait d’abord la voix pour dire ce qui n’est en rien des matières de rêves mais des matières fécales ou encore des remugles, non de sa voix mais du corps d’un monde aussi repus d’un côté qu’en mauvais état de l’autre.
La sophistication du discours passe par l’harmonium de la soufflerie. Elle fait éprouver physiquement ce que parler veut dire là où tout devient aussi angoissant que festif voire désopilant. Le “mononstre” y va de ses couplets antéchrist qui se chient par la bouche puisque chaque être est un des “parlétrons” comme le poète le rappela dès « l’écrit, le caca » dans le n° 10 de sa revue mythique TXT.
Reprenant des textes épars lus et scandés, ce livre et son CD permettent d’entrer dans le gueuloir du poète. Il ne cesse comme Novarina déjà cité mais aussi Veerheggen et Queneau avant eux de reformuler la langue maternelle quitte à la sodomiser un peu — histoire de lui faire un enfant dans le dos.
Le tout est que ça jouisse et tout compte fait peu importe l’orifice. C’est une histoire de pulsion, une histoire de bouche avec ou sans lèvres et qui se pousse elle-même “bon pied, bon asthme”.
Histoire que la poésie ne soit plus bonne fille mais celle du diable.
jean-paul gavard-perret
Christian Prigent, Poésie sur Place, Les presses du réel, collection Al Dante, 2019, 112 p. — 15,00 €.