Valère Novarina, L’homme hors de lui

Sortir du monde, entrer dans la langue 

Ecri­vain pro­fa­na­teur et sur­tout pro­fé­ra­teur, Valeur Nova­rina reste le fou chan­tant de la langue. Face au monde, il répand sa soif d’infini dont le réel n’est qu’une petite part. Son cri n’est jamais un cri déchi­rant mais un fleuve exor­bi­tant. Et lorsqu’il écrit comme lorsqu’il parle, la voix du créa­teur donne des coups de barre de fer de la tête comme un mar­teau frappe l’enclume du réel. Et sou­dain, c’est l’enclume qui se tord.
Nova­rina reste l’auteur ins­piré, res­pi­rant. Il expire ce qui chez les auteurs ras­ta­quouères avorte parce qu’ils ont peur, parce qu’ils cultivent non la langue mais leur moi. L’homme Nova­rina est peut-être égoïste mais cela n’a aucune impor­tance car sa langue est don. Elle sort des cha­grins et fait jaillir des cou­rants sous-marins de l’être et de son sar­co­phage une langue aussi galeuse que merveilleuse.

L’auteur ignore la voix cas­sée. Chez lui, celle des humi­liés se venge. En ce sens, il existe chez le créa­teur du Léon Bloy, du Ber­na­nos, du Rabe­lais et du Beckett, du mys­ti­cisme et du fabliau gri­vois. Bref, se crée une cos­mo­gra­phie irré­cu­pé­rable qui brasse les oiseaux de saint Fran­çois et les super-marchés Car­re­four deve­nus avec le temps City car ceux qui ont encore de l’argent sont trop vieux pour prendre leur voi­ture afin de se dépla­cer.
D’où la pré­sence d’un “Chan­teur en Per­di­tion” conteur  (pour rien) des comp­tines face à “L’Ouvrier du Drame” , “maître de la créa­ture par­lante”. D’où la créa­tion d’un spec­tacle forain comme celui de la « Lote­rie Pier­rot » que l’auteur connut si bien dans les les foires des pays de Savoie.

L’Homme hors de lui reprend ainsi le tra­vail de l’artiste, le relie à une geste qui réunit De Funès et Sha­kes­peare pour créer un théâtre des noms. C’est un tor­rent ver­bal sublime qui déclasse tous les registres poli­tiques et fait de Nova­rina un anar­chiste impré­ca­teur et sans doute un des plus grands écri­vains fran­çais maître en exé­gèse des lieux com­muns et en noms propres.
Hanté par la pers­pec­tive de l’Apocalypse, l’auteur énonce une com­pas­sion altière et comique tein­tée à la fois d’absolutisme et de mil­lé­na­rismes qui rejette à des années lumières les lan­gages manu­fac­tu­rés. Nova­rina rede­vient l’analphabète d’un genre par­ti­cu­lier : la ratio­na­lisme et l’ordre sont mis en char­pie dans ce qui tient de la  lave ver­bale. Celle d’un fon­de­ment reli­gieux pre­mier de la sen­si­bi­lité et de la pensée.

Elle échappe au Verbe pour offrir une archi­tec­ture ins­pi­rée et volon­tai­re­ment ban­cale mais dont l’aspect baroque crée un nou­veau clas­sique. Celui de demain, si ce demain existe, libéré à temps de ceux qui se veulent les maîtres d’une exé­cu­tion capi­tale. C’est contre eux que la pièce de théâtre s’insurge mais bien au-delà d’un théâtre politique.

jean-paul gavard-perret

Valère Nova­rina,  L’homme hors de lui, P.O.L Edi­teur, Paris, 2018, 160 p. — 14,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Poésie, Théâtre

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