Xavier Dorison & Félix Delep, Le château des animaux – t.01 : “Miss Bengalore”

Quand règnent dic­ta­ture et terreur…

Si Xavier Dori­son peut être classé parmi les scé­na­ristes pro­li­fiques, il faut mettre à son actif un nombre impres­sion­nant de séries de haute tenue pour ne citer que Le Troi­sième Tes­ta­ment, W.E.S.T., Long John Sil­ver et plus récem­ment Under­ta­ker et Aris­to­pha­nia.
En pré­am­bule à cette nou­velle série, le scé­na­riste évoque La Ferme des ani­maux, un des chefs-d’œuvre de George Orwell, publié en 1945. Dans ce livre coup de poing, aussi fort que 1984, le roman­cier anime une société d’animaux sou­mise au joug du dic­ta­teur Napo­léon, le cochon qui pro­fère sa célèbre maxime : “Tous les ani­maux sont égaux. Mais cer­tains sont plus égaux que d’autres.”

La fable ani­ma­lière se prête fort bien à un récit intem­po­rel et uni­ver­sel pour mettre en scène la tyran­nie, la main­mise sur la liberté et sur la démo­cra­tie. Et avant 1945, il y avait “du lourd”, selon l’expression favo­rite de Fabrice Luc­chini, bien que le plus ter­rible res­tait à décou­vrir : Sta­line. Cepen­dant, Xavier Dori­son estime que si George Orwell a vu juste, il n’a pas tout vu…

Dans un châ­teau trans­formé en ferme, les ani­maux se sont réjouis quand les humains sont par­tis. Ils allaient créer une société juste, une Répu­blique. Mais, très vite, le pré­sident Sil­vio et sa milice de molosses ont imposé une tyran­nie au pré­texte de pro­té­ger la col­lec­ti­vité des hordes de loups qui rôdent. Les ani­maux doivent tra­vailler, pro­duire pour un maigre salaire sans rien dis­traire à la com­mu­nauté. Tous assistent au sup­plice d’Adélaïde, la poule, exé­cu­tée pour avoir voulu gar­der un de ses œufs. C’est le canard qui fait cette réflexion à Miss B, la chatte : « Qu’il faut se sou­ve­nir de ce jour. Comme du der­nier où nous n’avons rien fait. »
Miss B. a repris le tra­vail de son mâle mort d’un acci­dent sur l’échafaudage. Elle traîne de lourdes pierres taillées depuis la car­rière jusqu’au chan­tier de construc­tion d’une tour. Celle-ci doit être ter­mi­née rapi­de­ment pour com­plaire au Pré­sident. Les condi­tions de vie deve­nant de plus en plus dif­fi­ciles, une ani­mo­sité enfle. Et une résis­tance va s’organiser après qu’un rat, comé­dien ambu­lant, ait donné son spec­tacle. Miss B. est ame­née, presque à son corps défen­dant, à jouer un rôle pri­mor­dial. Or, la dic­ta­ture, bien ins­tal­lée, ne va pas res­ter sans réagir…

Le sujet de ce conte poli­tique tra­duit en fable ani­ma­lière touche à la dic­ta­ture et à la ou les manières de la faire tom­ber. Xavier Dori­son détaille la manière de mener une révolte non-violente face à une répres­sion. Si le récit d’Orwell reste en toile de fond, le scé­na­riste pré­fère s’appuyer sur des exemples réus­sis de mise à bas d’une tyran­nie de cette façon que ce soit en Inde avec Gandhi, en Afrique du Sud avec Nel­son Man­dela, en Pologne avec Lech Walesa…
Et, plus récem­ment, avec le suc­cès du mou­ve­ment Otpor, ce sou­lè­ve­ment paci­fiste des étu­diants qui a fait tom­ber Slo­bo­dan Miloše­vić en Serbie.

Il choi­sit, pour por­ter son scé­na­rio, une chatte, mère de deux cha­tons, qui va se trou­ver entraî­née dans un sys­tème de résis­tance, de déso­béis­sance civile qui va se construire au fur et à mesure. À tra­vers ce récit, c’est un hymne à la non-violence, un contre-pied aux modèles nar­ra­tifs les plus répan­dus qui valo­risent les héros tout en muscles, qui amènent à mettre au pou­voir ces hommes poli­tiques tout en gueule, en menaces…
Le des­sin est assuré par Félix Delep dont c’est le pre­mier album. Étu­diant à l’école Émile Cohl, il a suivi les cours d’un cer­tain Xavier Dori­son sur …le scé­na­rio sans jamais faire état de ses des­sins. C’est par le biais d’Internet qu’ils se sont trou­vés. Et c’est vrai­ment une belle ren­contre car son des­sin ani­ma­lier est remar­quable, à la hau­teur de celui des créa­teurs chez Walt Dis­ney, aussi bien dans les pos­tures et les expres­sions des ani­maux que dans les décors.

Prévue en quatre tomes, cette série s’impose, dès le pre­mier opus, comme une des réus­sites de cette décen­nie par la pro­fon­deur de son scé­na­rio et par la qua­lité de son graphisme.

serge per­raud

Xavier Dori­son (scé­na­rio), Félix Delep (des­sin et cou­leurs) & Jes­sica Bodard (cou­leurs), Le châ­teau des ani­maux – t.01 : Miss Ben­ga­lore, Cas­ter­man, sep­tembre 2019, 72 p. – 15,95 €.

 

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