Les deux tomes de « critique littéraire » de Paulhan ressemblent à une galerie de portraits (ou « prosopographie ») dans laquelle le langage tient la part essentielle. Fidèle à sa vision inscrite dans un de ses textes majeurs (Les fleurs de Tarbes), l’auteur insiste sur la double clef du langage littéraire. Sa grande pureté liée à une extrême tension. Dès lors, il ne s’agit pas de tomber dans le piège où sombrent certains auteurs qui se pensent plus malins que les autres et trouvent judicieux de « ruiner les lois ou les règles».
Pour Paulhan, l’objectif est différent : « imposer une structure, singulière il est vrai, mais particulièrement précise ». Dès lors, les visages qu’ils dessinent sont encore des relations au langage.
Ce qui n’empêche pas une amitié envers ceux dont il parle et qui appartiennent à diverses générations et « genres » : Alain, Gide, Valéry qui ont leur audace et leur audience (que certains remettent en cause : pensons actuellement au premier des trois). Mais Paulhan défend (même s’il n’écrit pas forcément toujours sur eux mais les publie) très tôt Pierre Oster, Michel Deguy, Jacques Roubaud , Philippe Jaccottet. Et plutôt que d’évoquer des genres, il s’intéresse aux écrivains.
Existe chez lui une incessante perméabilité à la langue qu’elle soit celle d’Artaud, de Céline. A chacun il donne sa propre médiation articulée selon des termes classiques mais qui anticipe sur bien des visions : celle d’un Derrida par exemple. Avant lui, il passe d’une analyse formelle du signe et de ses transformations dans la poésie à une description élargie de l’expérience du langage chez chaque auteur cité. Il montre pour chacun d’eux comment l’écriture « fait » clé. Pour la vie elle-même comprise comme expérience du mystère.
jean-paul gavard-perret
Jean Paulhan, Œuvres complètes, tome IV et V : Critique littéraire, I et II , Édition de Bernard Baillaud, Gallimard, collection Blanche, Paris, 2018.