Barbara Polla : principe d’autonomie
Le livre de Barbara Polla est un pavé dans la mare. Il a le courage de se situer hors normes. Et ce, non seulement comme mode de vie personnel, « auto-ordonnance pour santé mentale ». C’est surtout une issue pour sortir du « cannibalisme capitaliste » et de ses images et c’est aussi une manière de vivre et de réunir la conscience de soi et volonté d’être — ce qui engage un nécessaire dépassement à la fois personnel, social et politique. A ce titre et entre autres, l’auteure propose un parallélisme judicieux entre art et amour.
A travers ce biais, elle prouve que, face au sentiment amoureux, il existe une autre voie que se laisser envahir ou se protéger. Et l’auteure de préciser néanmoins que « la disponibilité amoureuse, c’est aussi un sport de haut niveau, tout comme l’art ». Artistes et amoureuses ont besoin d’une disponibilité totale car l’histoire d’amour « est une question de choix » mais — en dehors des deux postulations radicales et préexistantes — il existe un moyen d’en créer de nouvelles comme le font les vrai(e)s artistes.
Dans cette configuration, Barbara Polla remet les pendules à l’heure quant à la panacée du couple : « Le couple dans tous ses états. Le couple aujourd’hui. Sauver mon couple (« mon » couple, comme s’il pouvait appartenir à une personne). Le couple, jusqu’à la nausée ». Et il est vrai que les magazines féminins multiplient conseils, trucs, travail sur soi afin que perdure cette norme sociale. L’auteur reprend donc la lutte des Sorcières qu’une Luce Irigaray (entre autres) avait initiée.
Penser l’autre commence par un se penser soi-même, sortir des normes afin de toucher la vérité de ce qu’une femme est et de ce qu’elle est capable de faire. Foucault l’avait d’ailleurs souligné dans son Histoire de la sexualité et plus particulièrement dans le tome III, « Le Souci de soi ». Face à la puissance des basiques culturels, Barbara Polla revendique l’émergence d’une personnalité singulière qui cherche son propre usage et l’ordre de son corps (comme celui de l’autre).
Barbara Polla toutefois ne casse pas tout. Elle rappelle que cet ordre peut s’inclure dans les traditions du monde à conditions qu’elles soient incarnées et non imposées. D’où le rôle clé, dans le livre, du concept d’autonomie indissociable de l’incarnation. Pour l’auteure et une nouvelle fois, il est présent plus qu’ailleurs chez les artistes. Elles sont donc un modèle à suivre. Et celle qui est thérapeute, auteure et aussi galeriste de préciser : « si j’aime autant travailler avec les artistes, échanger avec eux, les observer, c’est que d’une certaine manière ils sont naturellement, presque obligatoirement autonormés ».
Il n’en reste pas moins que le livre demeurera pour beaucoup scandaleux. L’auteure le place en partie sous l’égide sulfureuse de Grisélidis Réal, la prostituée genevoise élevée (à juste titre) au rang d’icône qui « brille au firmament telle une étoile en révolution ». L’auteure possède le mérite de mettre ainsi parmi ses modèles des personnages marginaux à leur manière. Brigitte Lahaie par exemple. L’ancienne reine des films pornographiques est « un des modèles du sexe en joie. Une femme toute en finesse, toute en intelligence, avec une incroyable capacité d’écoute réciproque ». Bref, l’auteure retient celles qui font bouger les mondes en enseignant l’autonomie.
Le livre cultive la plus belle des anarchies ; celle qui crée la liberté, l’ouverture en luttant contre les autorités et pour la défense des fragilités. La femme en effet donne à l’humanité sa puissance hors pouvoirs institués. Encore faut-il qu’elle le sache, qu’elle découvre sa propre identité et que la société n’en fasse plus la victime d’une société faite par les hommes et pour eux et où les bordels sont construits par les briques des religions.
jean-paul gavard-perret
Barbara Polla, Femmes hors normes, Editions Odile Jacob, Paris, 2017.
Pingback: La plus belle des anarchies | Le Nouveau Blog de Barbara Polla
Pingback: 47°NORD — LATITUDE FÉMINISME | Le Nouveau Blog de Barbara Polla
Pingback: 47°NORD — LATITUDE FÉMINISME | Le Nouveau Blog de Barbara Polla