Paolo Bacigalupi, Water Knife

Paolo Bacigalupi, Water Knife

Une dystopie très éloignée de l’avenir que nous nous préparons ?

Imaginez un monde (au cas présent, les Etats-Unis) dans lequel l’eau est devenue rare. Si rare, à l’échelle de la nation, que les Etats eux-mêmes se livrent une guerre à peine larvée pour s’approprier les droits qui y donnent accès. Si rare, à l’échelle des intérêts privés, que des milices toutes entières sont destinées à la traquer et à la détourner au profit de ceux qui peuvent la payer. Si rare, à l’échelle de l’individu, que le simple fait d’en consommer ne peut plus se résumer à ouvrir le robinet.
C’est dans cet univers, et en particulier dans la ville de Phoenix, que l’histoire prend racine. Vous comprendrez que les habitants des Etats les plus désolés cherchent à migrer vers les Etats les mieux lotis ; que, dans ces mêmes Etats, les plus fortunés vivent dans des ensembles où l’eau abonde pendant que les plus démunis vont, pour boire, jusqu’à re-traiter celle qui provient de leur urine ; qu’une économie parallèle et mafieuse s’installe et prospère là où le manque est le plus criant. Vous comprendrez ensuite que cette denrée, à la rareté tant de fois rappelée, ne peut qu’attiser la convoitise et susciter la violence (comment pourrait-il en être autrement ?) ; que d’une manière ou d’une autre, à l’échelle individuelle ou collective, tout le monde s’y abandonne. Vous comprendrez enfin (ou vous ne comprendrez pas) les choix, égoïstes ou altruistes, des personnages que vous accompagnerez dans un monde qui se meurt, à petit feu, dans une guerre de l’eau.

Mais, au-delà de l’eau, pourrez-vous conclure qu’il s’agit là d’une dystopie très éloignée de l’avenir que nous nous préparons ? Les plus optimistes répondront par l’affirmative et diront toujours que notre génie triomphera de l’adversité. Les plus pessimistes y verront un futur plus que probable et penseront que rien dans notre nature ne nous permettra d’y échapper. Si le doute reste (encore) permis pour les Etats-Unis et l’ensemble des pays occidentaux, pour certains autres pays, malheureusement, il ne s’agit plus d’une question d’avenir. Qu’elles soient liées à un manque d’eau ou à tout autre manque, les conséquences imaginées dans cette fiction sont d’actualité. Ce roman d’anticipation, tout en nous distrayant, a ainsi le mérite de nous ouvrir les yeux sur les conséquences de nos actions et de notre mode de développement en rapprochant de notre porte, ce qui se passe déjà dans certaines parties du monde.

Lorsque des rumeurs concordantes font état de l’existence de droits si anciens qu’ils permettraient à ses détenteurs de s’approprier une partie de l’eau du fleuve Colorado, la grande Patronne de l’eau de Vegas (Catherine) dépêche à Phoenix son meilleur mercenaire (Angel) pour qu’il les trouve et les lui rapporte. Dans une perspective identique, la Californie y envoie ses agents (les Calies). Angel croisera à Phoenix le destin d’une journaliste encore intègre (Lucy) qui rêve de voir la ville renaître de ses cendres et celui d’une jeune migrante texane (Maria) qui aspire un avenir meilleur. Alors que rien ne devait faire que leurs routes se croisent, Angel et Lucy se mettront en quête de ces droits dans une course qui les opposera tous trois, non seulement aux agents californiens mais également au réseau corrompu sur lequel Angel s’appuyait jadis et aux milices qui font la loi à Phoenix. La violence qui baignera leur quotidien n’aura d’égale que la valeur immense de ces droits.

« Plaisirs »
On aime la plume. Mais elle requiert quelques efforts pour être maîtrisée. Elle est rapide, précise, soignée et nous plonge avec réalisme dans l’histoire, ses lieux, ses personnages, leur environnement, leur évolution, leurs interactions. On aime les personnages. Leur psychologie est relativement bien maîtrisée et on se les approprie avec facilité. Les digressions dont ils font l’objet sont courtes mais bien amenées et les expliquent assez logiquement. On aime les décors. Ils transcendent le manque d’eau, font des vents qui les traversent des vents plus forts et plus chauds, font du sable qui les recouvre un sable plus cinglant et plus envahissant. Ils tranchent violemment (et très à propos) des bulles climatisées et richement alimentées en eau dans lesquelles vivent les plus fortunés.
On aime l’intrigue. Ses tenants et ses aboutissants sont clairs (peut-être trop) et on est rapidement entraîné au cœur de celle-ci (mais pas forcément au cœur de l’action). On aime l’action qui rythme le roman, bien qu’elle prenne son envol un peu tard (à partir de la seconde moitié du roman). On aime ce que l’auteur met en exergue : les difficultés croissantes (dont les pénuries) qui résultent à la fois de notre mode de développement (surconsommation, marchandisation, mépris de l’écologie) et de notre nature (égoïste, individualiste, aveugle). Outre le fait de dénoncer les conséquences de nos choix sur la vie que pourrait être celle de nos enfants (ou la nôtre, bientôt), on aime enfin, entre les lignes, le clin d’œil politique. Les Etats-Unis futurs de cette fiction concentrent, sur leur territoire, ce que les hommes expérimentent déjà aujourd’hui à l’échelle mondiale.

« Regrets »
On regrettera que le manque d’eau soit un fait dans lequel on s’installe sans explication. Bien qu’il ne soit pas indispensable à l’histoire, le cheminement (dans ses derniers stades) eut été intéressant pour planter le décor. On regrettera une intrigue un peu simple (revers de sa clarté, on devine très vite vers quoi elle s’oriente), une dichotomie des personnages un peu simpliste (« le-méchant-mais-pas-tant-que-ça », « l’idéaliste-mais-pas-si-gentille-que-ça », « les-vrais-méchants-mais-trop-stupides, « la-victime-mais-pas-tant-que-ça ») et un manque de réalisme sur leurs aptitudes réelles (les méchants meurent vite, les gentils survivent en toutes circonstances). On regrettera le fatalisme de la leçon à retenir (tout le monde est coupable) qui ne rend pas suffisamment justice à ceux qui, aujourd’hui, dénoncent et qui ne condamne pas ceux qui tirent les ficelles. On regrettera, enfin, une première moitié de roman un peu lente.

« Reproches »
A la marge, car Water Knife n’en reste pas moins un thriller efficace et bien écrit qui fleurette bon avec un désastre « possible » (restons optimistes), on reprochera au roman une « story line » un peu convenue sur laquelle sont saupoudrés quelques ingrédients trop classiques parmi lesquels on retrouve le sexe (sans exagération), la violence (très présente) et le type de relation que les personnages vont nouer (auxquelles on s’attend sans grande surprise).

darren bryte 

Paolo Bacigalupi, Water Knife, Au Diable Vauvert, 27 octobre 2016, 486 p. – 23,00 €.

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