Il arrive que des silhouettes errantes s’éloignent des berges de la vie pour oublier leur mémoire. Si bien que la poésie devient une histoire de fantômes : l’écriture fait leur masse. Toutefois, dans la recherche d’un qui je suis au sein d’une alchimie poétique, l’écriture ne donne pas forcément les clés du secret de l’existence intime approchée par l’auteur dans son « Petite / C’est la fête, tu voudrais mourir. »
Saisissant à nouveau sa propre enfance mais en trois « modèles » diffractés, elle tente désormais de renoncer à la « joie immonde » du passé plutôt que de céder à la modulation de la nostalgie. Mais dans la Seine des inconnues boivent l’eau grise et deviennent des revenantes de sagesse et élégie.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le chant d’Assurancetourix, mon coq gaulois.
Que sont devenus vos rêves d’enfants ?
Ils se réalisent. Je vous en dirai plus quand je serai grande.
A quoi avez-vous renoncé ?
A l’argent. A travailler plus pour gagner plus. Aujourd’hui, je me consacre entièrement à l’écriture. J’écris de la poésie, je vis modestement à la campagne : je ne manquerai plus jamais de rien.
D’où venez-vous ?
De chez Lucy. Elle va bien. Elle tient le coup, toujours bipède !
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une vie de sauvage. Parmi les sauvages.
Un petit plaisir –quotidien ou non ?
Aller chercher les œufs du jour dans le poulailler. Je ne m’habitue pas. Ni au mystère ni à la perfection de cette chose déposée sur la paille. Le plaisir en plus : filer en cuisine faire un gâteau au cœur bien jaune et moelleux.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres poètes(ses) ?
Qu’on me distingue comme poète me fait déjà tout drôle. J’ai tant de mal à me dire poète ou écrivain ou auteur et mon cœur bondit lorsqu’on m’annonce comme tel. J’ai aussitôt envie de m’en excuser. Le fait d’être une femme qui écrit ne doit pas arranger les choses…
Comment définiriez-vous votre approche de la féminité ?
Une nuque offerte.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Mon fils que l’on m’a tendu à bout de bras, à la première minute de sa naissance. Il était tout violet, tout rouge, tout blanc, tout beau. On aurait dit une abeille qui rentrait à la ruche chargée à bloc d’un pollen intérieur. Ça fait dix-huit ans de ça. Je n’en suis toujours pas revenue.
Et votre première lecture ?
« La vie devant soi ». C’est le premier livre qui m’a donné envie d’écrire comme je suis. Une libération. Avec la coquinerie d’Emile Ajar en plus. Délicieux.
Quelles musiques écoutez-vous ?
La musique de l’âme. Celle qui me fait oublier que je suis en train d’écouter de la musique. Cela dit, j’écoute assez peu de musique. C’est bien trop puissant pour moi. Je m’en méfie. Ça peut vous pousser à n’importe quoi, au meilleur comme au pire. S’il m’arrive de manipuler des instruments de musique, c’est avec une étrange appréhension et les mêmes précautions que pour une arme à feu. Le silence est mon refuge.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Les poèmes d’Anna Akhmatova.
Quel film vous fait pleurer ?
“Elephant man”.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Elephant man, les jours sans. Bridget Jones, les jours avec. Et tous les jours, le mal que j’ai fait, je fais et je ferai. Je me tiens à l’œil.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A Cavanna. Je ne l’ai jamais rencontré. Un moment, j’avais une photo de lui dans mon bureau. Son regard me mettait au travail.
Quel (le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Pompéi, le cri d’un présent immobile aux oreilles du temps qui n’existe pas.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Anna Akhmatova, Romain Gary, René Daumal, Bernard Noël, Richard Brautigan, Charles Bukowski, Fiodor Dostoïevski, Louis-Ferdinand Céline, Samuel Beckett, Christian Bobin, Jean de la Fontaine, Hermann Hesse… La liste de mes paradoxes est infinie et je les assume.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
N’importe quoi pourvu que ce soit une surprise. J’aime être surprise. Même pas peur !
Que défendez-vous ?
Tout et plus rien. Je suis fatiguée. J’ai gueulé, pleuré, jugé, milité des années notamment dans les domaines de l’environnement et de l’aide aux migrants. Aujourd’hui, je ne vote plus et je fais ma petite part de colibri, en silence, dans mon petit coin sans chercher à culpabiliser ni convaincre personne. Et s’il m’arrive encore de manifester, c’est à la maison, pour le droit à la lenteur.
Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
Cela m’inspire ce que je ne cesse et ne cesserai d’écrire… Que j’aille bien ou pas.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »
Elle témoigne bien à elle seule, la vitesse qui a gagné notre monde jusqu’à nous faire mentir.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
« Comment allez-vous ? »
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 28 juin 2016.