Louis-Michel de Vaulchier, Bien vue — mal vue

Le mal­en­tendu

Dans la lignée de Mate­la­ma­tique des genres, le nou­veau tri­pode de Louis-Michel de Vaul­chier quoique un peu ban­cal reste un temps fort dans la poé­sie du temps. Certes, le pied “sonore” (“Une autre langue”) qui veut inven­ter une nov­langue dans l’aspiration d’une rockeuse moi­tié “garage” moi­tié dub” fait un peu figure de style “djeune” et com­plai­sante de ce que les mots peuvent faire en matière de son. Les deux autres pieds sont beau­coup plus sidé­rants et “pro­fonds” (à tous les sens du terme).
Grâce au pre­mier (“Un petit miroir”), enfermé dans un petit tiroir le poète se fait voyeur d’une femme devant sa table de toi­lette décou­verte par effet de pan. “Un décou­page” est encore plus fré­né­tique : la coupe d’une feuille accom­pagne la pour­suite d’un man­ne­quin de vitrine porté à la décharge selon diverses ava­nies. Une nou­velle fois, l’auteur y per­cute la langue non sans humour et jeu autant de langue que de graphisme.

Louis-Michel de Vaul­chier y fait lit­té­ra­le­ment bou­ger les lignes et les mots. Ceux-ci res­tent par­fois, à peine sor­tis de la bouche, coin­cés sur un bâton de rouge à lèvres. Les textes pro­gressent par défor­ma­tions jubi­la­toires. Les pos­tu­la­tions phras­tiques deviennent une suite de lal­la­tions orgas­miques. Le dis­cours pro­gresse par un “let­trisme” d’un nou­veau genre qui se rap­proche autant de l’appel que du silence, par divers bonds et effets de “change” comme dirait Jean-Pierre Faye.
Revi­goré, le signe se fait singe afin qu’au besoin les lettres puissent aussi être vues sans être lues — selon une suite d’arguties intem­pes­tives et drôles en des séries d’apparitions qui sont autant de débor­de­ments dans le “cadre” d’un dis­cours dont la nage res­semble par­fois à celle d’un man­chot ou d’un han­di­capé de la cuisse : le texte, dès lors ralen­tit, tourne sur lui-même, s’épuise, prêt à cou­ler — avant qu’un rou­cou­le­ment imprévu lui redonne une dyna­mique. La nar­ra­tion et le récit sortent sans cesse de leurs gonds.

Louis-Michel de Vaul­chier crée des mises en abymes par divers effets de pans et de prises et selon des pertes inces­santes de repères aussi géo­gra­phiques que séman­tiques. Sans tom­ber dans la paro­die, le dis­cours se pour­suit “au ras de la ligne” et par ses tor­sions. Le désastre de la langue se méta­mor­phose en son accom­plis­se­ment par désor­ga­ni­sa­tions gour­mandes jouis­sives, intel­li­gentes. Le logos n’y est jamais absent mais se trans­forme en tours, détours et détour­ne­ments.
Le monde et sa repré­sen­ta­tion sont inver­sés par écor­chures. Ils deviennent une fête parce que le lan­gage crée sa propre ouverture.

jean-paul gavard-perret

Louis-Michel de Vaul­chier, Bien vue — mal vue, Ate­lier de l’Agneau, coll. Archi­textes, St. Quen­tin de Caplong. 2016.

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