Celui qui vient dont nul ne sait : entretien avec Alain Lasverne (Dis-moi où va le silence)

Alain Las­verne est un mys­tère. Il passe depuis sa jeu­nesse quelque parts du sud au nord et retour via le centre pour tra­vailler comme ins­ti­tu­teur après diverses ten­ta­tives en tant que repré­sen­tant, for­ma­teur en inser­tion ou pigiste. Il écrit régu­liè­re­ment depuis 1989, nou­velles, poé­sies et romans. La défunte revue “Kalei­don” a publié quelques-unes de ses nou­velles en 1995 et 1996. En 1998, les édi­tions “Cyli­bris” publient un de ses ouvrages jeu­nesse et, en 2009, Kyk­los Édi­tions a édité “Je sau­ve­rai le monde”. “Web voyage” (2014) a été publié chez ÉLP édi­teur et Dis-moi où va le silence paraît aujourd’hui aux édi­tions “Constel­la­tions” où le nar­ra­teur plonge dans une his­toire d’eau en ce roman étrange, pas­sion­nant, intros­pec­tif et inté­rieur mais « qui doit être en quelque sorte réel. Tout y est bon à rien ou à tout (faire) en fonc­tion du temps et ce qui en reste.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le réveil. Mon dos qui m’invite à bou­ger. Juste après le café, les bribes de som­meil qui me per­mettent de faire remon­ter quelque poésie.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je n’avais pas, ou je ne me sou­viens pas de mes rêves d’enfant. Ils ont pris peut-être un coup de froid quand je suis passé brus­que­ment d’une famille bio­lo­gique dis­pa­rue à une famille adop­tive. J’ai opté pour le pré­sent, de peur de me pen­cher sur le passé, ou de décou­vrir un ave­nir avec quelque rup­ture impré­vue. Plus tard, j’ai recom­mencé à rêver.

A quoi avez-vous renoncé ?
A écrire, tout le temps du tra­vail, ou presque. C’est une erreur que je ne conseille pas, si on a la pos­si­bi­lité de faire autre­ment. J’ai quitté ma région, mes habi­tudes, mon modus vivendi, comme beau­coup. On déplace ainsi les popu­la­tions, on frag­mente les vies, on crée du regret et de la nos­tal­gie, comme si la vie n’était lpas assez com­pli­quée en elle-même.

D’où venez-vous ?
Je viens d’une famille per­due, d’un bateau dis­paru. Je viens de la France silen­cieuse, qui tra­vaille, gagne sa vie, éco­no­mise et finit par mou­rir sans faire de bruit, en s’excusant presque. Je viens d’ancêtres incon­nus, dont je pense, j’espère qu’ils m’ont passé le goût des his­toires, des livres. Je viens d’un lieu informe où j’attendais de décou­vrir une des rares liber­tés sub­sis­tante en ce monde : l’écriture

Qu’avez-vous reçu en dot ?
J’ai reçu quelques paroles d’amour que j’ai gar­dées tou­jours mal­gré mes peines et mes aban­dons, mes fuites et mes oublis.

Qu’avez vous dû “pla­quer” pour votre tra­vail ?
Ma région, mon mode de vie, mes copains et l’inquiétude de la vie qui s’ouvre et qu’on repousse avec l’alcool et la défonce. J’ai aban­donné de la vie, des heures, des jours, des années qui auraient été libres et amères, libres et cachées, libres et joyeuses, sans ce poids qui altère l’humeur, le carac­tère, l’innocence et qu’on dit, qu’on disait formateur.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Je joue un vieil air sur ma gui­tare, je parle à des gens qui m’écoutent. Je m’entends chan­ter, je sou­ris. Je trouve un moment de com­pli­cité. La vie c’est peu, on attend, on sou­rit, on aime, on refuse, on finit par pas­ser à autre chose.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres écri­vains ?
Aucune idée. J’ai plu­tôt des échanges avec des plas­ti­ciens. J’aimerais bien pour­tant, mais je pense que chaque auteur est sin­gu­lier et que c’est plus facile avec les plas­ti­ciens. On n’est pas sur le même registre, donc les rela­tions sont obliques. On est fait des com­pa­rai­sons d’un domaine à l’autre, essen­tiel­le­ment dif­fé­rent. C’est para­doxa­le­ment plus facile. Mais j’ai l’esprit de corps, je me sens membre de la com­mu­nauté infor­melle, ne serait-ce que parce qu’on pose des mots chaque jour sur la page, sans savoir… Un arti­san, une sorte de tra­vail qui remonte loin, comme une figure du temps et des Anciens qui peut-être nous mur­murent à l’oreille.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Plu­tôt la radio en voi­ture, en ce moment. Donc, varié­tés. Ou je vais écou­ter des concerts au Conser­va­toire. Je suis tou­jours ama­teur de blues, jazz années 70 ou pos­té­rieur. Et les maîtres fran­çais, Nou­garo par exemple. Un chan­teur, un poète, un homme de qua­lité. Je connais peu ce qui se fait aujourd’hui, mis à part ce qu’on nous rabâche, et qui me plaît par­fois, comme Stromae.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
Des exem­plaires de la revue Uni­vers, ou Bolano : « 2666 », ou encore Bal­lard : « Séche­resse », Bor­gès : « Le livre de sable »…

Quel film vous fait pleu­rer ?
Un film m’a fait pleu­rer der­niè­re­ment, au ciné ; j’ai oublié le titre.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un homme qui se plisse, perd ses che­veux, avec des yeux d’enfant.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mes parents adop­tifs, mis à part des cartes pos­tales sans intérêt.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Aucun, aucune. Les mythes, c’est pour moi quelque chose qui touche à notre psy­cho­lo­gie pro­fonde, ou à nos modes de vie, ou plu­tôt le mode de vie des ancêtres qu’on dit sau­vages, alors que nous sommes en pleine barbarie.

Quels sont les artistes dont vous vous sen­tez le plus proche ?
J’aime encore écou­ter Nou­garo, Brel, Ferré. Et j’ai quelques phrases de Nou­garo qui me reviennent, comme « J’en ai marre des médias ». D’autres ont capté mon atten­tion, mon res­pect, même si je les connais peu, comme Kenny Arkana, dont j’ai entendu les paroles et quelques inter­views. Ou le groupe La Rumeur, pour la qua­lité de ses textes, et son enga­ge­ment éga­le­ment. Tout artiste sin­cère et droit sur ses amours et ses détes­ta­tions mérite le res­pect, ainsi que, bien sûr, le talent véri­table, chose de plus en plus dif­fi­cile à dis­so­cier de la « visibilité ».

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un billet pour l’Utopie.

Que défendez-vous ?
Tout ce qui rend libre, tout ce qui est imper­ti­nent, tout ce qui est révolté, tout ce qui souffre et qui meurt injustement.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Constat tech­nique. Après, faut vivre…

Enfin que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Un para­doxe est un vice de forme dû à une mau­vaise compréhension.

Entre­tien et pré­sen­ta­tion réa­li­sés par jean-paul gavard-perret, pour lelitteraire.com, le 25 sep­tembre 2024.

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