Alain Lasverne, Dis-moi où va le silence

Histoire d’eau

Sous l’injonction d’un homme hanté quoique dou­teux, le nar­ra­teur plonge dans une his­toire d’eau. Mais ne nous y trom­pons pas, même si elle paraît en queue de pois­son. Pour preuve : « Je livre je ne sais quoi dans je ne sais quel but. Avec rigueur, j’aimerais, c’est la seule manière de conden­ser, de cap­tu­rer ce qui me fuit. ». D’où ce roman étrange et pas­sion­nant, roman intros­pec­tif  et inté­rieur mais « qui doit être en quelque sorte réel. »

D’où l’ambition d’un tel héros : il trans­fère, donne consis­tance, épure le chaos pour « ordon­ner l’essentiel qui m’échappe. » Et voilà ce que vont lui réser­ver les mots — d’une cer­taine façon pour reprendre à zéro, pour per­ce­voir une logique par leurs dérives sour­noises. Est-ce là com­prendre non sa propre exis­tence mais la vie des mots ? Mais voici la vraie croyance d’un écri­vain empê­tré dans le silence quo­ti­dien de sa parole pour retrou­ver un fil perdu, un fil caché et allu­mer le laby­rinthe des mots. Là d’ailleurs le vraie his­toire d’eau puisque c’est dans les mots qu’il faut plon­ger. C’est à la fois un pari, une fidé­lité, une envie et sur­tout une néces­sité douteuse.

Ce Nico­las Ricerca (le bien nommé en ita­lien) avance non  seule­ment avec les mots et non seul,  il est  avec une femme (entre autres).  Mais écrire, « Ce n’est pas un cahier pour deux.» dit-il,  d’autant qu’il passe à d’autres le témoin mais avec des blancs, des absences, des retours, des aller là où tout avance a hue et a dia où  sourd  du James Joyce puisque, chez cet auteur, son uni­vers prend la forme du doute. Et c’est là sa puis­sance. Le fond de son affaire n’en n’a pas — ou à l’inverse en plu­sieurs. Des lieux se tra­versent. Dont la noble ambi­tion serait « Quelque chose qui sera moi au bout, à la der­nière ligne » - ou quelqu’un. Tout cela suit son cours dans ces flot­tai­sons abys­sales où tout est devant, est der­rière mais aussi ici-même.

Parfois, en lieu et place, son sei­gneur et maître Dun­kel — encore bien nommé — fait de son dis­cours lui-même en écho d’un “Quelqu’un” de Robert Pin­get. Néan­moins, pour son héros, un  tel auteur fait le « bou­lot » . Il semblera(it) impos­sible. Et ce, de manière labo­rieuse pour fina­le­ment se nour­rir de fêlures dans un monde où, après tout, l’air est l’eau (d’un bain de mots). Sur­git en consé­quence un écart rai­son­nable aux fata­li­tés d’un paran­gon du Jacques le Fata­liste mais en plus sérieux et respectable.

Nous retrou­vons ici une langue altière même en « phrases cre­vées ». D’autant qu’elles ne son jamais gre­vées d’absence. Le tout est de nager dans un océan qui mal­mène. Mais non sans plai­sir même lorsque cer­taines situa­tions peuvent être par­fois pro­blé­ma­tiques. Tou­te­fois et après tout, qu’à dieu ne plaise — lui ou l’inverse. Car qui est bon à rien reste bon à tout. Faire. Qu’importe le mal, l’être  trouve que son obs­cur est clair.
De plus, appre­nons à tout lec­teur ce qu’est écrire : nager, attendre, com­prendre, essayer, par­ler moins pour ne rien dire du silence que l’articuler. Et dans ce superbe livre, nous espé­rons la clé (dé)livrée en un si long voyage.  Mais à cha­cun d’en trou­ver (dans bien des concor­dance des temps) non seule­ment ce qu’elle fait mais aussi la fin.

lire notre entre­tien avec l’auteur

jean-paul gavard-perret

Alain Las­verne, Dis-moi où va le silence, édi­tions Constel­la­tions, Brive la Gaillarde, paru­tion novembre 2024, 190 p. — 19,00 €.

1 Comment

Filed under Chapeau bas, Romans

One Response to Alain Lasverne, Dis-moi où va le silence

  1. Alain Lasverne

    Voilà une recen­sion qui donne un éclai­rage sin­gu­lier sur mon tra­vail. Chaque lec­teur a sa vision et c’est bien ce que j’atttends, que cha­cun recons­truise le livre en lui, en mélan­geant mon his­toire et son récit. Cer­tains pour­ront l’exprimer avec talent. C’est bien le cas de Jean-Paul Gavard-Perret.

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