
L’amour est peut-être la seule « situation réelle en train de se produire »
Dans A deux, par deux, Jean-Paul Gavard-Perret, accompagné par la photographe, Sylvie Aflalo‐Haberberg, sonde « cette nuit quand les arbres cherchaient leur ombre » que nous humons tous dans la croyance que le jour est moins frivole. Nous sommes ici très éloignés des dames pipi de la fiction qui font tourner leurs assiettes comme des acrobates sans main.
Les très belles photographies s’accoudent aux courts textes de Gavard-Perret, percutants. Souvent les livres ressemblent à l’annotation d’un codicille perdu dans l’antre d’une didascalie improbable ; parfois, les écrivains traînassent derrière leurs mots qui les tirent comme on tire un bœuf par son anneau nasal. Il y a tant d’écrivains qui ressemblent à des bovins qu’on a fini par croire que le foin était une destinée et l’abreuvoir, près des pyramides de bouses – qu’on prendrait pour des soleils mystérieux -, une manière de clé pour on ne sait quel univers !
Pourtant, « malgré les mystères, les écrivains n’ont pas le sens de la science occulte empruntée à l’interprétation des textes sacrés dont il dit d’eux : “je n´ai rien compris”. Ce qui ne l’empêche en rien de penser le contraire ». Un écrivain, c’est toujours une affection qui s’étonne, sachant que le diagnostic est la maladie la plus répandue. Un écrivain est « une épidémie d’extases » qui refuse la « soupe verdâtre » que les chefs de bureau de la Fiction assimilent à la réalité.
Pourquoi y a-t-il écrivain plutôt que rien ? La plupart du temps, il n’y a rien plutôt qu’écriture. Gavard-Perret sait qu’écrire, c’est « établir l’angle des hommes » tandis qu’une femme dédoublée, en noir et blanc, fantomatique et trouble, danse une manière de menuet, soulevant gentiment ses deux pans de robe dans une grâce dont le récit découle ; lorsqu’on la regarde, on entend les Pièces pour clavier de John Bull et on raye le fait de n’être qu’un intérimaire du néant dans nos « entrelacs dénoués ».
Partant, l’amour est peut-être la seule « situation réelle en train de se produire ». Il n’existe vraisemblablement aucune autre forme de fait. Tout ce qui se déroule en dehors matérialise le brigandage. Ce « flux passionné dans l’ombre » est l’ombre elle-même. La langue s’avale pour s’enorgueillir du langage. C’est ainsi qu’une raie de fesses dans le miroir souverain du chignon qui se remet d’aplomb transforme une femme en une saisie de limpidité.
Les photographies de Sylvie Aflalo‐Haberberg ne tassent rien. Si le mot « rehaussement » a encore une chance de nous chausser, il le doit aux poses d’une silhouette à peine nue dans sa nudité. Un nu est parfois un ut, parfois un dos, parfois le cœur de Danko. À travers elles, on sait que la conscience n’est qu’un polissage de surface, à partir de laquelle philosopher à coups de marteau revient à avoir un style de machine infernale.
Au fond, écrire, photographier, cela revient à ressusciter un gosse lançant des pétards, à faire du « guet-apens, une roue ». Ce très beau livre démontre que « un xième round n’est jamais fini » et que l’Espérance reste une vertu théologale, puisque « tout se démonte et que rien ne s’assemble ». C’est cela, un « rêve à rêves ».
valery molet
Jean-Paul Gavard-Perret & Sylvie Aflalo‐Haberberg, A deux, par deux, Éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, 2025, 78 p. – 13.00 €