Rémi Checchetto, Dresseur de nuages

« Le poète et le clarinettiste »

En ouvrant le petit volume jaune des édi­tions Espaces 34, Dres­seur de nuages, les lec­teurs découvrent la repro­duc­tion du début d’une par­ti­tion du jazz­man lyon­nais, Louis Scla­vis, inti­tu­lée, Ceux qui veillent la nuit, infor­mée d’une cer­taine manière par une cita­tion du musi­cien sur son album épo­nyme, datée de mars 1999.
Dès lors, il sera ques­tion de faire entendre la cla­ri­nette basse, son souffle avec l’instrument des mots qu’est aussi le lan­gage. Rémi Chec­chetto, dans sa post­face explique l’importance qu’il accorde à la musique de Scla­vis depuis de très nom­breuses années mais c’est seule­ment en 2019, lors de la dif­fu­sion sur les ondes, d’un concert consa­cré à son album Cha­rac­ters on a wall, qu’il décide d’écrire sur sa musique ou plus exac­te­ment en «  pas­sant par sa musique ».
Rémi Chec­chetto est d’abord poète, joueur de mots, de sons. Cha­cun de nous a en mémoire ces vers célèbres de l’Art poé­tique de Paul Verlaine :

De la musique avant toute chose (v.1)

Rien de plus cher que la chan­son grise (v.7)

De la musique encore et tou­jours !( v.29).

La musique et la poé­sie sont sœurs. Mais ce qu’entreprend R. Chec­chetto, c’est emprun­ter un autre che­min que celui de Ver­laine qui veut de la musi­ca­lité dans la poé­sie. Notre poète tente, lui, une manière de fusion des deux arts à tra­vers la chair du cla­ri­net­tiste. Le titre retenu opère un pas­sage de la musique à la lit­té­ra­ture : Dres­seur de nuages appar­tient tout autant à un mor­ceau de Sca­lis qu’à l’oeuvre de Chec­chetto.
Celui-ci veut « racon­ter la musique ». Il décrit, en tout cas, la matière musi­cale, sa dimen­sion orga­nique dont l’essence est l’air, mot cen­tral du texte à côté du mot souffle dont il est l’osmose. Cette dimen­sion phy­sique de la musique mise en mots, de celui qui pra­tique les cuivres (ce ne serait pas du tout la même chose avec les cordes par exemple) trans­pa­raît dans le mot bouche, le mot mains et plus loin celui des dix doigts.

Il s’agit bien de faire corps. Le poète et le musi­cien sont tous deux ceux qui ins­pirent et s’inspirent. Le verbe s’inspirer prend tout son sens ; le jazz ins­pire la poé­sie et ainsi s’inspirent-ils tous les deux. Et ils sont habi­tés par le souffle créa­teur. Ils deviennent des êtres du Souffle du monde :

souffler

l’air, souffler

l’air magique, l’air magni­fique, l’honorifique air, souffler…

Le poète use d’une écri­ture accu­mu­la­tive, pour cer­ner le pou­voir de la cla­ri­nette basse, l’instrument phare de Scla­vis. Poé­sie de noms et de verbes-noms à l’infinitif. La coor­di­na­tion « et » revient sans cesse dans le fil du texte.
Le lan­gage va jusqu’à deve­nir une forme hybride où le son, selon une lec­ture à haute voix, serait une note tenue :

vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv­vaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa (p. 35 et 36) à par­tir du mot va.

La musique deve­nant lan­gage capte le foi­son­ne­ment des forêts, des terres, des bêtes selon un chant pan­théiste. Des titres de mor­ceaux en petites capi­tales s ‘agrègent à la matrice du poème. Des poètes passent : Dar­wich, Paso­lini, Lou­mès Matoub…
On pour­rait déjà ima­gi­ner une lec­ture musi­cale du poème pour par­ache­ver l’alliance des deux arts.

Ecou­ter un court extrait lu par l’auteur

et  sur une musique de Louis Scla­vis, extrait du mor­ceau Extase.

marie du crest

Rémi Chec­chetto, Dres­seur de nuages, Edi­tions espaces 34, col­lec­tion « Hors cadre », 2022, 53 p. — 12,00 €.

On peut retrou­ver, chez le même édi­teur, cinq pièces de théâtre de l’auteur. Sa poé­sie est édi­tée dans diverses mai­sons dont les édi­tions de l’Attente, Tara­buste Script…

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