Il y a dans les gravures de Danielle Berthet — entre autres par la densité d’encre et l’exercice de pression longuement réfléchi — un vœu de transparence, une secrète dimension d’éternité. Ils renvoient à ceux de l’écriture de Jackie Plaetevoet et ses « brûlures d’absence ». Le geste de création qui enflamme la matrice vierge imprime du même coup la trace terrible de la solitude « doublée du grand silence des oiseaux ». Sans proposer une reproduction du paysage, l’artiste ne cesse de plonger dans le sillon nocturne pour qu’en écho au texte de la poétesse, en tordant l’ombre, elle fasse mordre la poussière à l’obscur.
Dès lors, et à défaut de connaître la paix, les deux créatrices, par leur rencontre et leur travaux de fouille, laissent apparaître des éclats. Dans leur sobriété expressive et impressive, ils rejoignent l’unisson des rythmes telluriques qui nous dépassent au moment même où le monde proche est le plus lointain. Comme s’il était au fil de la quête poétique et artistique de plus en plus difficile de graver et les mots et les images qui retiennent à lui.
Mais la sidération du livre naît de ce hiatus, de cette double cavité. S’y éprouve une nudité particulière. Ou plutôt le total dépouillement jusqu’à l’abandon et l’acceptation dans la fusion du monde avec l’indicible. Textes et gravures deviennent des états de vision. Et ce dans une visée paradoxale : atteindre d’abord pour s’approcher ensuite afin que l’œuvre déplie le réel sans jamais s’y soumettre.
La poésie et la gravure portent ici en elles les signes de la défaillance comme de sa sublimation. Le réel est écrasé jusqu’à la pure déception sans qu’un seul instant cette disgrâce ne puisse corrompre l’éclat de la lumière. Au contraire, elle l’éternise sans sombrer. N’est-ce pas là, toujours, un moyen de s’éloigner de la catastrophe ? N’est-ce pas là fixer des moments d’alerte et d’accomplissement ?
Jackie Plaetevoet et Danielle Berthet, tournées contre le corps apatride du silence et de l’absence, font donc barrage à son mutisme glacé. Quoiqu’en panne d’horizon, la clarté remonte par pression. Elle est égale au feu dormant que la gravure et le poème font surgir d’un foyer souterrain. Il suffit de contempler et entendre ce livre rare pour comprendre où et comment le monde s’élucide. A savoir, en cette source où il semble se démettre pour — espérons-le — recommencer en mieux « dans la mémoire poreuse ».
jean-paul gavard-perret
Jackie Plaetevoet (poèmes) et Danielle Berthet (gravures), Mordre la nuit, Editions Sang d’Encres, 69250 – Poleymieux au Mont d’Or, 2013, 24 p. –150,00 €