Denitza Bantcheva, Visions d’elle

Un alliage rare

Les édi­tions Do, dont j’ai déjà recensé plu­sieurs ouvrages ici, confirment avec leur nou­velle publi­ca­tion la haute opi­nion que j’en suis venue à me faire d’elles. Il faut dire que je par­tais avec un a priori favo­rable, car Visions d’elle est un texte de Denitza Bant­cheva, auteure de romans et de livres de cinéma que j’ai aussi eu le plai­sir de lire (et de com­men­ter ici).
Dans ce nou­vel opus, l’auteure aban­donne le roman et la mono­gra­phie pour un genre que je vais qua­li­fier, faute de trou­ver une for­mu­la­tion plus adé­quate, de biographie-témoignage.

En 2002, la mère de Denitza Bant­cheva dis­pa­raît bru­ta­le­ment à Sofia, où elle était née et avait vécu, dis­pa­ri­tion qui déclenche immé­dia­te­ment l’envie d’écrire ce livre à sa mémoire. Ne vous atten­dez tou­te­fois pas à y trou­ver un récit chro­no­lo­gique d’une exis­tence, entre hagio­gra­phie et nos­tal­gie. Si Denitza a mis si long­temps à venir à bout de cette entre­prise, c’est qu’elle s’est moins atta­chée à rela­ter les péri­pé­ties de cette exis­tence qu’à recher­cher son sens.
Annie est née dans la Bul­ga­rie des années com­mu­nistes et a dû mener sa vie tant bien que mal, en dépit des entraves insi­dieuses et redou­tables sour­noi­se­ment impo­sées par le sys­tème et relayées par la popu­la­tion. Esprit indé­pen­dant, elle a d’autant plus souf­fert d’être entou­rée de gens dont elle devait se méfier et qui lui étaient pour la plu­part hos­tiles qu’elle ne dis­po­sait pas de l’agressivité et de l’aptitude à contrat­ta­quer qui auraient pu lui faci­li­ter la vie.

Le lec­teur fran­çais trou­vera de ce fait dans ce livre une plon­gée dans un contexte his­to­rique et social qu’il mécon­naît, quand il en soup­çonne seule­ment l’existence. Ce seul aspect de l’ouvrage mérite déjà le détour, mais il serait réduc­teur de ne voir dans Visions d’elle qu’un tableau socio­lo­gique. Car celle qui fait ce récit n’est autre que la propre fille d’Annie et le texte de Denitza Bant­cheva invite à s’interroger sur le degré de connais­sance que l’on peut avoir de ses proches et sur la part d’insondable de cha­cun.
Par ailleurs, le lien filial intro­duit une dimen­sion poi­gnante dans le texte, qui en fait un alliage rare et d’autant plus remar­quable d’intelligence, de pro­fon­deur exis­ten­tielle et d’émotion qui fait mon­ter les larmes aux yeux.

Même si le genre est dif­fé­rent, on recon­naît l’écriture carac­té­ris­tique de l’auteure, certes moins baroque de dans La Tra­ver­sée des Alpes, moins iro­nique que dans À la rigueur, mais tou­jours riche et sub­tile, capable de sai­sir les nuances psy­cho­lo­giques et com­por­te­men­tales les plus ténues.
Une lec­ture qui nous invite à poser pen­dant qu’il est encore temps un regard plus sen­sible et dénué d’a priori sur ceux qui nous entourent et que nous pou­vons perdre à tout instant.

lire notre entre­tien avec l’auteure

agathe de lastyns

Denitza Bant­cheva, Visions d’elle, Do, mars 2021, 200 p. – 18,00 €.

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