Premier livre à paraître en français depuis quinze ans sur le grand Joseph Losey
De Denitza Bantcheva, nous connaissions déjà ses monographies Jean-Pierre Melville, de l’œuvre à l’homme, René Clément et l’ouvrage collectif L’Âge d’or du cinéma européen. Son nouveau livre, Un Florilège de Joseph Losey, diffère des précédents car il présente une sélection, plutôt qu’une étude de la filmographie complète du cinéaste. L’auteur a retenu environ un tiers de l’œuvre de Losey, soit onze long-métrages qui correspondent à sa période européenne et vont de 1957 à 1980. En revanche, la filmographie qui figure en annexe est l’une des plus complètes possible, comprenant les génériques de plusieurs court-métrages et de documents d’archives comme la captation partielle du spectacle Galileo de 1947 ou la version télévisée de Boris Godounov de 1980, outre la liste complète des longs métrages avec leur générique.
Une seconde partie contient les témoignages d’Alain Delon, Ruggero Raimondi, Laurent Malet, Pierre-William Glenn, Marie Castro et Michel Ciment, qui ont tous travaillé avec le cinéaste et dont certains étaient également ses amis. Chose rare, la bibliographie comprend des ouvrages et des périodiques en trois langues (français, anglais et italien).
Le choix de ne retenir que onze longs-métrages permet à l’auteur de vraiment approfondir leur analyse en commentant avec précision aussi bien les caractéristiques des personnages, les lignes principales de l’action et la construction narrative que les particularités stylistiques et les procédés cinématographiques les plus remarquables de chaque œuvre. Denitza Bantcheva a le don d’analyser de manière érudite, sans jamais verser dans la pédanterie, en s’appuyant sur des citations pertinemment choisies, que ce soit pour approuver l’opinion de ses confrères ou pour les contredire. Son écriture élégante laisse percevoir à chaque étape des commentaires une vraie passion de cinéphile, et contagieuse de surcroît, ce qui rend la lecture particulièrement entraînante. Même s’il s’agit d’une étude analytique approfondie, le texte relève davantage de la littérature que de la tradition académique, autre détail qui contribue grandement au plaisir de la lecture.
Que l’on ait vu les films commentés ou pas, que l’on soit au départ d’un avis proche de celui de l’auteur ou pas, cette étude donne envie de (re)découvrir l’œuvre de Losey, et même de remettre à jour ses impressions tant elle est convaincante. Après l’étude film par film, un chapitre de conclusion évoque les constantes stylistiques du cinéaste – le souci d’originalité formelle et la recherche d’une complexité maximale du propos, une grande variété de sujets, de genres, de références culturelles et de choix visuels qui dépasse de loin le fameux baroque auquel on associe habituellement Losey, et enfin une vision désabusée mais non dépourvue d’espoir de l’être humain – qui pourrait fournir des pistes de réflexion aux étudiants amenés à travailler sur lui.
Quant aux témoignages, ils offrent des points de vue variés sur la façon de travailler de Losey et sur son personnage, qui apparaît comme particulièrement brillant et charismatique. Leur lecture est d’autant plus agréable qu’elle donne l’impression de côtoyer à la fois le réalisateur et ses collaborateurs. Denitza Bantcheva est déjà considérée, et à juste titre, comme une spécialiste faisant autorité sur Melville et Clément, gageons que ce travail est également voué à devenir l’ouvrage de référence sur son sujet.
agathe de lastyns
Denitza Bantcheva, Un Florilège de Joseph Losey, Éditions du Revif, mars 2014, 310 p – 20,00 €