Lorsque Lionel Bourg décrit un paysage ou une personne, ce n’est jamais en philosophe mais en le devenant. Chez lui, nulle séparation ne tient la route entre le “geste” de penser et l’”action” d’écrire. Sans doute parce que sa poésie ne se veut en rien pureté altière. Elle épouse les déclivités des gorges qui “balafrent” les Préalpes du côté du Verdon, transforme les sirènes en “bayadères dodues, pouffiasses” sorties autant d’un tableau de Paul Delvaux, de la piste aux étoiles de Phineas Barnum que des féeries glacées d’un Jérôme Bosch.
L’écriture pour de telles chansons (qui n’en sont pas mais représentent beaucoup plus) est toujours subtile et minutieusement drôle. C’est de la dentelle — même si cet art qu’on dit mineur ne jouit que des flatteries sirupeuses de ceux qui toisent les couseuses de passé empiété.
Lionel Bourg ne fait pas partie de ces tristes sires. Il sait ce qu’écrire veut dire et implique. Qu’on parle du cosmos, de “l’orgueilleux chagrin de Mélusine”, comme des chansons à deux balles de Piaf ou des comptines. Loin des pétitions de principe et autres blablas, cet ex-garçon des ruisseaux du département de La Loire a décodé les codes — via l’ascenseur social qui a l’époque était encore à l’état de marche — de tous les savants de Marseille et des théorichiens cagneux en leur manège (tourner en rond suffit à boucler leur boucle.)
La perfection n’est sans doute pas de ce monde mais la poésie du stéphanois (ou presque) n’en est pas loin. Son livre reste comme la plupart de ses textes une divagation à la fois rêveuse et farcesque.
Le poète n’en fait pas des tonnes, il se contente — revêtant sa peau de bête ou d’Artaud — d’affirmer sa croyance en une langue d’abord foraine et qu’il dut apprendre afin de devenir un flâneur des deux rives des mondes et pas seulement de la Seine. Avec son goût — comme Beckett — pour la “mirlitonnade”, il avance, désormais septuagénaire, armé de ce qu’il a vu et voit et de tous ses mots appris chez Benjamin Fondane, Giono, Saint-John Perse et bien d’autres encore.
A son tour, il offre ses propres versets de rocs et de chair. Pour lui, la poésie n’est pas une décoration mais un centre de vie d’autant plus actif qu’il peut feindre l’insignifiance et l’insouciance de l’humour en tant que politesse suprême.
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jean-paul gavard-perret
Lionel Bourg, Et des chansons pour les sirènes, Le Réalgar éditeur, 2019, 60 p. — 6,00 €.