Les Douaniers de Carpentier sont des filochards d’un genre hérétique. Ils défendent leur pays en régulant et vérifiant l’entrée et la sortie des marchandises. Il ne faut donc pas s’attendre à une quelconque politique migratoire. Mais les néo Pieds Nickelés qui sont plus douaniers que Rousseau ont plusieurs tours dans leur sac : des 45, des 33, des 78 tours mais bien d’autres encore. Plus portés sur la chopine que sur Chopin, ils boivent le mojito tard et préfère parfois la Tequila Tagada assis sur une banquette de Limoux après leur service et une fois qu’ils ont coincé ceux qui voulaient faire passer des toiles de Soulages pour des tableaux noirs.
Ils ont leur morale et un humour douteux : leur collègue Defays, ils l’appellent « deux fesses » mais à l’impeccabilité nul n’est obligé dans l’entre-soi. D’autant que sur chaque frontière ils résistent « dent à dent » quand les caves se rebiffent. Pour les chanter, l’auteur mélange les vers d’ailleurs ou d’ici dans une métrique qui n’est pas sans délice. Face à eux, des femmes en jupe noire deviennent rouges de honte et dès lors il y a fort à parier que celles qui font bander pratiquent aussi la contrebande derrière leurs larmes de crocodile que perçoit Caïman, appelé ainsi car il n’a plus dans la bouche que deux ou trois chicots branlants.
Le poète du nord en profite au passage pour dire leur fait aux sudistes qui parlent « pointu » qui disent « Wagon » au lieu de « houa-gon » comme aux Belges qui n’ont que des chicons mais pas d’endives en leur essentialisation suspecte. Toutefois, la communauté des douanes n’est pas meilleure que les autres. Elle possède ses fayots qui se mettent au garde-à-vous lorsque la direction générale parisienne les appelle. Mais, leurs idoles quittées, ils calomnient ceux qui ne paient pas le syndicat. Il arrive même qu’un des gabelous ouvre le feu contre un chat – mais le premier était ivre. Et tout compte fait, entre les représentants de l’ordre et ceux du désordre le marquage n’a rien de rigoureux.
Le poète s’en amuse. : « Les gabelous chassent des hommes / Dont ils partagent les talents /Mais qui jouent dans un autre camp ». Pour autant, ils savent, comme leur nœud, se montrer coulants et ne chipotent pas trop lorsque certains font passer du riz brisé pour du riz long et ne demandent pas d’en recoller les fragments. Ils tentent parfois de faire parler les perroquets abandonnés à la frontière par un trafiquant. Mais le plus souvent ils savent le peu qu’ils sont devenus, Schengen et Maastricht aidant.
Au cœur de l’Europe ils se sentent des figurants. Dès lors, ils se sont fait une raison : en des voies de circulation où nage le menu fretin, « la consigne est élastique” . Tout reste donc de l’ordre de la bonne franquette entre mules, truqueurs, pipeurs, maquilleurs, passeurs et bootleggers . Chacun passe la frontière quand sonne l’heure. Ou un quart d’heure après.
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jean-paul gavard-perret
Francis Carpentier, Douanes, Editions Henry, coll. « La main aux poètes », 2018.
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