Francis Carpentier, Douanes

Brigan­dages et brigadiers

Les Doua­niers de Car­pen­tier sont des filo­chards d’un genre héré­tique. Ils défendent leur pays en régu­lant et véri­fiant l’entrée et la sor­tie des mar­chan­dises. Il ne faut donc pas s’attendre à une quel­conque poli­tique migra­toire. Mais les néo Pieds Nicke­lés qui sont plus doua­niers que Rous­seau ont plu­sieurs tours dans leur sac : des 45, des 33, des 78 tours mais bien d’autres encore. Plus por­tés sur la cho­pine que sur Cho­pin, ils boivent le mojito tard et pré­fère par­fois la Tequila Tagada assis sur une ban­quette de Limoux après leur ser­vice et une fois qu’ils ont coincé ceux qui vou­laient faire pas­ser des toiles de Sou­lages pour des tableaux noirs.
Ils ont leur morale et un humour dou­teux : leur col­lègue Defays, ils l’appellent « deux fesses » mais à l’impeccabilité nul n’est obligé dans l’entre-soi. D’autant que sur chaque fron­tière ils résistent « dent à dent » quand les caves se rebiffent. Pour les chan­ter, l’auteur mélange les vers d’ailleurs ou d’ici dans une métrique qui n’est pas sans délice. Face à eux, des femmes en jupe noire deviennent rouges de honte et dès lors il y a fort à parier que celles qui font ban­der pra­tiquent aussi la contre­bande der­rière leurs larmes de cro­co­dile que per­çoit Caï­man, appelé ainsi car il n’a plus dans la bouche que deux ou trois chi­cots branlants.

Le poète du nord en pro­fite au pas­sage pour dire leur fait aux sudistes qui parlent « pointu » qui disent « Wagon » au lieu de « houa-gon » comme aux Belges qui n’ont que des chi­cons mais pas d’endives en leur essen­tia­li­sa­tion sus­pecte. Tou­te­fois, la com­mu­nauté des douanes n’est pas meilleure que les autres. Elle pos­sède ses fayots qui se mettent au garde-à-vous lorsque la direc­tion géné­rale pari­sienne les appelle. Mais, leurs idoles quit­tées, ils calom­nient ceux qui ne paient pas le syn­di­cat. Il arrive même qu’un des gabe­lous ouvre le feu contre un chat – mais le pre­mier était ivre. Et tout compte fait, entre les repré­sen­tants de l’ordre et ceux du désordre le mar­quage n’a rien de rigou­reux.
Le poète s’en amuse. : « Les gabe­lous chassent des hommes / Dont ils par­tagent les talents /Mais qui jouent dans un autre camp ». Pour autant, ils savent, comme leur nœud, se mon­trer cou­lants et ne chi­potent pas trop lorsque cer­tains font pas­ser du riz brisé pour du riz long et ne demandent pas d’en recol­ler les frag­ments. Ils tentent par­fois de faire par­ler les per­ro­quets aban­don­nés à la fron­tière par un tra­fi­quant. Mais le plus sou­vent ils savent le peu qu’ils sont deve­nus, Schen­gen et Maas­tricht aidant.

Au cœur de l’Europe ils se sentent des figu­rants. Dès lors, ils se sont fait une rai­son : en des voies de cir­cu­la­tion où nage le menu fre­tin, « la consigne est élas­tique” . Tout reste donc de l’ordre de la bonne fran­quette entre mules, tru­queurs, pipeurs, maquilleurs, pas­seurs et boot­leg­gers . Cha­cun passe la fron­tière quand sonne l’heure. Ou un quart d’heure après.

lire notre entre­tien avec le poète

jean-paul gavard-perret

Fran­cis Car­pen­tier, Douanes,  Edi­tions Henry, coll. « La main aux poètes », 2018.

1 Comment

Filed under Poésie

One Response to Francis Carpentier, Douanes

  1. Carpentier Francis

    Un grand merci pour ce post ! FC

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