Entre silence et vibration : entretien avec Béatrice Brérot (“l’eau d’en haut”)

Béatrice Bré­rot ouvre les lieux du monde pour faire entrer dans un espace lit­té­raire que l’image ne com­blera jamais. Tout se résume à l’ouvert dans l’intuition d’un voir para­doxal qui donne par sa recréa­tion poé­tique une connais­sance. Elle pro­duit son propre objet. Et c’est bien là le plus haut fait de l’écriture : le dépas­se­ment vers un monde et un soi  en des zones qui d’ordinaire ne se laissent pas atteindre.
Sur­gissent la chute infi­nie du corps et sa remon­tée. L’ombre humaine longe la lumière en des fée­ries à la fois gla­cées et vibrantes où la parole semble renon­cer à l’espérance pour mieux assu­rer l’avenir. Et si depuis l’Ancien Tes­ta­ment, depuis l’Aleph le par­tage entre mas­cu­lin et fémi­nin fait pro­blème, Béa­trice Bré­rot penche pour le second. N’est-ce pas aussi pour cela qu’elle écrit ? A savoir, afin de réta­blir l’équilibre et trou­ver la faille dans la logique du monde tel qu’il est et tout dans l’incertitude becket­tienne d’être comme d’avoir été.

 Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’énergie, le soleil, la fin du som­meil, le réveil !

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
Je les ai rêvés, regar­dés, triés. Cer­tains sont res­tés des rêves, d’autres ont grandi avec moi et sont deve­nus ma réa­lité et par­fois même, la réalité.

A quoi avez-vous renoncé ?
A l’espoir. L’espoir main­tient dans l’illusion. Il ne fait pas avancer.

D’où venez-vous ?
D’une vibration.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
Ren­trer chez moi.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres artistes ?
Le silence. J’ai plus besoin de silence pour écrire que de noir­cir des pages.

Com­ment définiriez-votre approche du réel ?
Ren­ver­sée (ou inver­sée). Pour moi le réel est trop plein d’images, de sons, d’agitation. Assez jeune j’ai com­pris que pour sur­vivre j’aurais besoin de calme, d’espace, de vide, de silence. J’ai donc décidé de faire ce que j’avais à faire sans me pré­ci­pi­ter, à contre-courant du monde et des gens qui ne prennent pas le temps.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Une image de ber­ger basque monté sur ses échasses entouré de ses moutons.

Et votre pre­mière lec­ture ?
Un manuel sur la sexua­lité quand j’avais 6–7 ans, plan­qué chez des amis de mes parents dont la baby-sitter nous gardait.

Quelles musiques écoutez-vous ?
La musique a rem­pli toute une par­tie de ma vie. J’écoutais du rock avec Pink Floyd, Kat Onoma, Rodolphe Bur­ger, Bashung, puis les groupes de Bris­tol, Por­ti­shead, Tri­cky, Mas­sive Attack mais aussi Mazzy Star, Tin­ders­ticks et du reg­gae et de l’électro, des musi­ciens comme Klaus Schulze, Phi­lip Glass, du clas­sique avec le Sta­bat Mater de Vivaldi, les suites au vio­lon­celle de Bach.
Aujourd’hui je n’en écoute plus beau­coup. J’ai besoin de silence. Mais j’aime écou­ter Ber­trand Belin, Scalde, et deux jeunes gens très pro­met­teurs dont le nom de groupe est 30 minutes later.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
En ce moment je relis sur­tout le “Sûtra des mon­tagnes et des eaux” dans “Polir la lune et labou­rer les nuages” de Dôgen. Mais je relis rare­ment les livres. Ce n’est pas l’envie qui me manque mais il y a tel­le­ment d’auteurs à découvrir !

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Rhap­so­die en août” de Kurosawa.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi de plus en plus âgée.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Grèce. J’ai l’impression d’y être née.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Parmi les artistes le tra­vail de Wolf­gang Laib, celui de Köi­chi Kurita me touchent beau­coup. Ces gestes de récol­ter du pol­len ou de se bais­ser vers la terre pour en pré­le­ver quelques échan­tillons pour plus tard les ins­tal­ler me bou­le­versent. L’oeuvre d’art ici n’est plus ni l’objet ni un objet. Elle réside plus dans l’intention que dans les ins­tal­la­tions elles-mêmes aussi esthé­tiques soient-elles, elle est dépla­cée vers ce geste simple de recueillir des élé­ments de la nature (pas n’importe les­quels) et par là-même remet à sa place notre rap­port alam­bi­qué à l’art et à la nature.
J’aime beau­coup éga­le­ment le tra­vail tout en sus­pen­sion, flot­tant, d’Isa Bar­bier, celui de Fabienne Ver­dier, tra­versé par l’énergie et celui d’Anne Bré­rot, vibrant de cou­leurs.
Parmi les poètes dont l’univers me parle plus que d’autres il y a Patrick Dubost, Edith Azam, Julien d’Abrigeon, Serge Pey, Chris­tophe Tar­kos, Chris­tophe Manon.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Un miracle.

Que défendez-vous ?
Le juste par­tage des richesses maté­rielles pour que cha­cun ait des condi­tions de vie conve­nables. La soli­da­rité donc mais aussi de l’espace pour la pen­sée, car en ce moment, l’air de rien, cet espace se rétré­cit. Autre­ment dit, je défends l’idée d’une éco­lo­gie du cer­veau à l’instar de celle de la Terre. Les œuvres de Nadège Druz­koswki réa­li­sées récem­ment en lien avec mon texte “dix mille êtres dedans” (dont est extrait l’eau d’en haut sorti chez Color Gang) sont emblé­ma­tiques de cela.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est drôle et lucide. Outre ce manque per­pé­tuel qui s’installe entre deux êtres dès lors qu’ils s’aiment, sa phrase tra­duit l’absence de matu­rité dans notre rap­port à l’amour. Nous ne sommes pas très évo­lués sur cette question-là.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ?“
Sommes-nous vrai­ment nés ?

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
A qui vous adressez-vous ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 27 mars 2018.

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