Dominique Preschez, musicien (compositeur, organiste) et écrivain, aime les chemins de traverse. D’autant que son livre est le fruit d’un accident de parcours : il fut victime d’une rupture d’anévrisme en Gare de Lyon ou victime de lui-même. C’est donc sans hasard et sans plus de réelle volonté qu’il cherche à reprendre le cours de son existence. Celle-ci devient un roman à inventer par Trille du diable sous-titré « romans » et auquel l’auteur donne forme jusqu’à se réinventer une mémoire et juguler l’amnésie à travers (et entre autres) des photographies, lettres, livres de disparus.
Ce roman « romans » devient celui des invocations et des évocations en une suite d’appels et de fragments qui tentent de se coaguler les uns aux autres. Tout se croise, s’entremêle à travers des « voix » littéraires, musicales là où néanmoins tout ne cesse de se perdre plus que de se rassembler. C’est pourquoi les fragments se multiplient en des parcours de mémoire ou d’inventions dans l’espoir qu’une vie revienne.
Des lieux, des paysages se reconstruisent afin que « l’oublieux de sa propre vie » renaisse à partir de ce crâne « où siège l’écriture des vies croisés » afin de retrouver, plus qu’un si je suis, un qui je suis. Manière de faire comme Beckett : “croire à la vie future puisque la mienne l’a toujours été». Chaque élément de ce livre d’heures est donc là pour exister par l’assemblage de « paragraphes ». Ils sont autant de « microfictions » plus vraies cependant que celles que Régis Jauffret publie sous ce titre. Le tout peut-être non par effet d’imagination mais pour réinventer un passé possible plus vrai qu’il ne l’était et avant de brûler l’ensemble dans un autodafé.
L ’effort est incessant : s’y mêle une noria d’écrivains et autres créateurs : Perrault, Schwab, Beethoven, Pérec, Brel, Handke, Schönberg, Kerouac, Fauré, Messager, Ernst, Bowie et bien d’autres à la cloche du monde et en saisissant la main qui parfois se donne ou s’abandonne en différents décors des années cinquante (façon Verneuil) ou d’aujourd’hui.
D’où cette recherche d’un temps perdu. Ou qui n’a jamais existé. Mais qu’importe après tout : il suffit que ça tienne. Le tout étant pulsé apparemment à la “va comme je te pousse” ou comment cela revient. Même s’il existe des nuits pour rien et des voies sans chemins en l’espoir d’une vita nuova, d’une impossible consolation dans les flaques et degrés d’un temps d’existence là où la vie se mêle à la musique et la littérature en un panoramique ou plutôt un puzzle dont les pièces ont du mal à se rassembler.
jean-paul gavard-perret
Dominique Preschez, Le trille du diable — romans, Editions Tinbad, coll. « Tinbad Roman », Paris, 2018, 150 p. — 18,00 € .