Au moment où l’Europe a perdu 420 millions d’oiseaux, la poétesse Fabienne Raphoz argumente un chant qui — parce qu’il semble hors du monde — se retrouve en son milieu là où un Troglodyte mignon l’accompagne pour commencer son livre où apparemment la vie se joue en mineure. La consigne que se donne la poétesse est de ne rien brusquer ni de prétendre à transformer le monde ou la littérature. Il n’y a là ni bon, ni méchant : il n’existe qu’une rêverie plus ou moins solitaire de l’ornitophile. Elle quitte un moment la ville pour se perdre dans les bois.
Fabienne Raphhoz y devient une poétesse d’un genre particulier : « Même si je n’ai pas une radicale aversion à l’égard de l’entrée de mots anglais dans la langue française, j’ai scrupule à me définir comme « Birdwatcher », d’abord parce que j’ai scrupule à me définir comme quoi que ce soit, ensuite, parce que le mot, bouillie chuintante prononcée en français, ne rend vraiment pas justice à ce qui me séduit en premier chez eux : leur chant ; oui, le chant précède l’oiseau ».
Comme à son habitude, l’auteure joue de l’émergence et de l’effacement. Il existe parfois une drôlerie tendre là où la poésie se nourrit de l’air qu’elle respire. La nostalgie n’existe pas : « J’ai réfugié mon pays natal du Faucigny entre deux petites départementales peu fréquentées des Causses du Quercy, dans une de ces maisons sorties d’une vie antérieure et qui vous dit : “c’est ici”. » Fabienne Raphoz trouve dans ce havre de subtiles variations que le « pays » permet de contempler entre ses frênes, ses tilleuls qui se perçoivent derrière la vitre lorsque la pluie insiste.
Elle devient oiselle parmi ses oiseaux refusant de les classer dans les notions d’ « espèce »qui rappellent très vite l’idée fausse de race : « J’ose le confier, il m’est arrivé de scruter sur mon reflet dans la glace, non pas seulement les traces du temps, celles-là sont bien visibles, à l’échelle de ce moi individuel, mais les traces plus génériques d’un trait néandertalien ».
Tout est presque silence, c’est pourquoi le bruit d’une goutte « tombant sur la bonnette, a plutôt tendance à exploser dans l’oreille en mini-grenade sans subtilité sonore à l’échelle du tympan.» Comme toujours avec Fabienne Raphoz, l’écriture atteint le déplacement des données immédiates de la conscience et de la perception sans que pour autant la poétesse ne joue à la visionnaire.
Elle se veut plutôt sourcière avec la seule arme qui reste : le langage dans la confrontation communicante avec l’émotion.
jean-paul gavard-perret
Fabienne Raphoz, Parce que l’oiseau, Editions José Corti, coll. Biophilia, Paris, 2018, 192 p. — 18,00 €.