Irrégulier de la langue, Jacques Demarcq trouve dans Apollinaire un alter ego idéal pour faire du trampoline sur les mots et les images. D’autant que et comme il l’écrit : « un appeau dans ton nom attire tant d’oiseaux ». A travers le Monégasque malgré lui (mais il fallut que le corps de sa mère exultât auprès d’un prince sans rire), Demarcq se fait merle chanteur. Il joue avec mots, graphismes, calligrammes, inserts de diverses œuvres (de Picasso, Art, les Delaunay et de bien d’autres).
Le drôle de « zozio » n’y va pas par le dos de la cuillère et mêle la drôlerie à l’horreur du monde : le 11 septembre y prend un « tour » particulier, et il existe des Jeans à une seule jambe qui suffisent « aux rescapés des champs de mine ». La marche de la poésie et du monde, en conséquence, à la fois boîte et se déboîte au nom du père fondateur des Calligrammes. Pas besoin de l’Ecole de Francfort pour appeler ici à la liberté de l’écriture.
Le merle moqueur cloue le bec aux « vieilles pies » du capitalisme comme des socialismes de « gauche adroite ». L’auteur les chatouille en des guili-guili lyriques comme à coups de Karscher poétiques. Le trille étrille et les gazouillis ne connaissent pas de filtres à leurs perlouzes. La bagatelle sans battre de l’Elle, ignore le burkini au milieu des danses nègres. Les griottes s’y refont la cerise du haut des cimes de leur duodénum en ignorant tout matérialisme historique.
C’est là du Cummings en plus ébouriffant : les jeux de versification, de typographie, parenthèses, espaces manquants et vignettes créent une évidence qui bat les reins et le Rhin. Tout lévite en ignorant Lévy-Bruhl en un mélange de formes entrecroisées et confondantes. La poésie n’est plus développée en idées mais en chaos tics et propositions éclatées.
Rien pourtant de gratuit, de factice. Le rire est là afin que le nonsensique soit le plus logique des logos. Par effets de seuils, le lecteur sort des pays des « papa triottes » et leurs poulettes qui ne sont pas forcément des cocottes. Jacques Demarcq prouve une fois de plus son sens du dérisoire et de l’histoire dont il fait exploser les causalités et les raies alités.
La pensée vacille dans une telle machinerie faite pour casser la fabrique du prêt à penser en hommage à un des Ponge (Francis plus que Bob). Demarcq ne cesse d’y faire le Jacques. Il est plus libre que Max et Marx. Il se dégage des majorités littérales en faisant de son livre un port épique. Il ne manque pas de piquants. Et comme disait Prévert « Merle à celui qui le lit ». Les cuicui ici ne sont jamais cuits sauf à ceux qui bien sûr n’entravent que couic !
jean-paul gavard-perret
Jacques Demarcq, Suite Apollinaire, Editions Plaine page, coll. « Calepins », Barjols, 2017, 30 p. — 10,00 €.